Trans
de Marie-Christine Arbour

critiqué par Libris québécis, le 15 août 2016
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
S'initier à la féminité
Simone de Beauvoir disait que l’on ne naissait pas femme, mais qu’on le devenait. Trans est un roman qui le prouve éloquemment. Et les voyages nombreux de Christine, la petite héroïne, contribuent à son initiation à l’idée beauvoirienne. Comme l’affirme l’adage, voyager forme la jeunesse. Peut-être, mais c’est à ses risques et périls. Qui peut proclamer comme Ulysse que ses pérégrinations l’ont rendu heureux ? Il n’est pas sûr que Christine veuille « vivre entre ses parents le reste de son âge », comme le souhaitait le héros de Joachim du Bellay.

Née d’un père physicien et d’une mère soucieuse de son apparence et de son âge, elle accompagne ses parents soi-disant ouverts d’esprit à travers les nombreux déplacements de son géniteur invité à de nombreux symposiums, d’où le titre Trans, mot latin désignant par où passe l’initiation de la jeune protagoniste de dix ans au début du roman. Elle vit toutes les situations possibles d’autant plus que ses parents la laissent souvent seule dans des grandes villes où les rencontres ne sont pas toujours recommandables. Ce n’est pas la sagesse qui les étouffe surtout quand ils lui demandent de quitter l’hôtel pendant qu’ils se livrent à leurs jeux d’alcôve. Que peut faire une fillette seule dans une rue d’une ville étrangère ?

Elle rencontre à Paris un pickpocket et une transsexuelle qui la ramène à l’hôtel où logent ses parents. Aux îles Caïmans, un juif rescapé de la Shoah la prend pour une nazie à cause de ses cheveux filasse. Aux États-Unis, c’est une prostituée qui l’intéresse. Ainsi partout où elle va, son expérience de la vie l’enrichit avant terme. Elle découvre la vie sous un angle peu favorable à l’épanouissement de sa personnalité. Une personnalité qu’elle veut différente des adultes qu’elle fréquente presque par obligation.

En fait, son éducation en tant que femme en devenir baigne dans une atmosphère malsaine. Porter sa féminité devient une tâche ardue quand elle examine les femmes qui lui servent de parangons. Sa mère et sa belle-mère après le divorce de ses parents l’entraînent dans les coulisses de la superficialité. Une femme se doit de bien paraître. En autres circonstances, c’est sa sensualité que l’on veut exploiter pour en faire un jouet. Comme elle ne peut se jauger auprès d’adultes aussi abrutis, il ne lui reste que l’envie de ne pas grandir. On est bien loin des pensionnats des sœurs qui transmettaient l’horreur de la sexualité à leurs élèves. Mais dans un contexte très profane, on peut en arriver au même enseignement. S’épanouir n’est pas une mince affaire surtout quand sainte Maria Goretti n’incarne pas le modèle idéal.

C’est un beau roman sur l’art d’être femme. Un art difficile car il doit se conjuguer avec les révoltes de la jeunesse devant un monde d’adultes peu exemplaires. L’auteure parvient très bien à illustrer la thématique avec une plume aérée qui ne s’accroche pas dans les fleurs épineuses de la psychothérapie. Elle a su éviter l’essai romancé en transplantant son héroïne dans les décors de divers pays où elle vit différentes aventures fort intéressantes. De la France aux États-unis en passant par l’Italie avant d’arriver en Martinique, tous les territoires sont bons pour parachever une éducation qui n’est pas nécessairement un achèvement. Ces voyages à répétition ne laissent voir que des instants de vie au détriment du développement de la personnalité au quotidien. L’œuvre sent trop la recette suivie avec application.