Artistes de bande dessinée
de Vincent Bernière, Romain Brethes, Collectif, Thierry Groensteen

critiqué par B1p, le 21 mars 2004
( - 51 ans)


La note:  étoiles
manifeste du neuvième art
La constitution d'un tel recueil a quelque chose d'éclairé. Certes, on ne peut pas dire qu'il est le premier du genre : il y a déjà eu d'autres ouvrages s'intéressant à la démarche des dessinateurs qui façonnent ce qu'est la bande dessinée de langue française moderne, mais ils faisaient référence à des dessinateurs-scénaristes susceptibles d'atteindre le grand public et de le conquérir (je fais référence ici à "la Nouvelle Bande Dessinée", livre écrit par le journaliste Hugues Dayez, où étaient questionnés Blain, Guibert, Sfar...)
Avec les "Artistes de bande dessinée" publié par les éditions de l'An 2, on a l'impression de franchir un palier supplémentaire.

Pour moi, la bande dessinée a trois niveaux :
Le niveau commercial avec son lot de titres comiques ou d'aventures, où le dessinateur n'ambitionne autre chose que de divertir le lecteur (et c'est sans doute déjà pas mal).
Le niveau commercial intellectuel où le dessinateur ambitionne de parler de choses plus personelles tout en prenant soin de l'envelopper dans un habillage comique ou sympa chargé de faire passer la pilule (Sfar et consorts).
Le dernier niveau, celui qui est abordé dans ce livre, celui où le dessinateur ne fait plus seulement de la bande dessinée mais où il fait entrer ce medium dans ce qu'on appelle l'art (d'où le titre bien choisi de l'ouvrage ici présenté), avec acharnement, avec intégrité, avec imagination et intransigence, avec un investissement personnel et créatif qui tentent de faire reculer inlassablement toutes les limites, toutes les normes de ce qui faisait jusqu'alors le train-train du jusqu'alors mal nommé "neuvième art".

A travers ce livre, on croise la trajectoire de huit dessinateurs-scénaristes. Certainement pas les plus connus mais sans doute parmi les plus passionnants, et on se prend à lire le compte-rendu de leurs entretiens même en ayant qu'une vague idée du travail de certains.
Personnellement, avant d'entamer la lecture, je connaissais la production de deux d'entre eux, mais au fil des pages, je deviens impatient de connaître les autres, ou du moins trois d'entre eux dont l'implication et le discours sans concession me fascine.

La parole au japonais d'adoption Frédéric Boilet :
"On parle de "divertissement" à propos de films ou de livres grand public qui prétendent nous "distraire" de notre vie quotidienne, nous permettre de nous "évader". Mais nous passons notre vie à être distraits ! Etre obligé de gagner de l'argent pour payer les traites de la maison, de la voiture et du garage, c'est ça la distraction ! Et que de temps perdu ! Je crois qu'une oeuvre d'art ne doit pas "divertir" mais au contraire "invertir". Elle doit nous réveiller, nous secouer, nous ramener à la réalité, à notre condition de mortel qui fait que chaque seconde que l'on vit est merveilleuse. C'est aussi à travers l'art que l'on peut toucher ce que j'appelle la seconde d'éternité. C'est cer moment très aigu où l'on se souvient qu'on est mortel. Si l'on te dit que demain tu vas mourir - imaginons que tu puisses passer outre l'aspect dramatique de la chose - les dernières minutes que tu vas vivre vont être d'une densité exceptionnelle. Une oeuvre d'art doit avoir cet enjeu-là, cette force-là. C'est celle d'un coupe de fusil que tu viens de recevoir, qui te met dans un état d'acuité, et d'envie de vivre, extrêmes."

Quand je vois la démarche de ces huit dessinateurs, je me dis que c'est réellement possible.

P.S. Est-ce que ce recueil peut convenir à quelqu'un qui n'aurait aucune idée de l'existence de ces auteurs ? Je ne suis pas sûr. J'en connaissais moi-même deux et c'est ce qui m'a encouragé à entrer dans cette lecture. Si je n'en avais connu aucun, il est sûr que les trois quarts du bouquin m'auraient profondément ennuyé. Alors, dans le cas où les noms ici rassemblés (Barbier, Baudoin, Boilet, Duba, Fortemps, Mathieu, Neaud, Vanoli) ne vous diraient rien, au moins notez-les, lisez-les, et revenez à cet ouvrage ensuite.