Journal japonais
de Richard Brautigan

critiqué par Kinbote, le 20 mars 2004
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Drôle de dérive
Que faisiez-vous entre le 13 mai et le 30 juin 1976 ? Etiez-vous en train de tomber amoureux ou finissiez-vous un amour dans un verre d’amertume? Terminiez-vous une des vos existences nombreuses en méditant dans qui ou quoi la recycler ? Ou bien encore attendiez-vous le meilleur moment de faire votre entrée sur la scène du monde ?
Richard Brautigan, lui qui n’aimait pas voyager et craignait le décalage horaire, avait fait le déplacement au Japon et notait des poèmes pour combattre l’ennui et le vide de l’existence qui devait un jour avoir raison de lui. Des textes de rien qui ne sont jamais vides justement et recèlent un frémissement qui redonne du sens à la vie, verse un baume momentané sur des blessures destinées à ne jamais mourir.
Des petits textes, qui dirait-on, combattent sur le terrain du haïku mais sans jamais employer les armes du respecté adversaire ; c’est que Brautigan, en ce début d’été 76, était un écrivain traduit dans le monde entier à cause justement d’un ton et d’un style tout à fait singuliers, qui allaient créer des émules.

Ce qui l’inspire : des femmes en kimono vues à la télé à côté d’un biplan, un chat devant un restaurant chinois, son premier repas curry et riz, les rues et ruelles comme des ficelles, un mannequin, un monsieur mouche, le jeu de Pachinko, la pluie dans la nuit japonaise, les femmes (toutes si séduisantes – écrit-il - que les autres ont dû être noyées à la naissance), les taximen qui ne ressemblent pas à leur portrait photo, une voix assimilée à une tronçonneuse qui tranche dans le miel, le besoin de cobalt, le mot grenouille absent d’un dico anglais-japonais, des voyages en ascenseur, le jade noir, le fait d’être écrivain reconnu et de dormir seul (comme quoi !), un homme aperçu pédalant entre les rizières, des actrices démaquillées, une discussion orageuse dans un train, la sensation de la boue séchée sur des chaussures, un film décadent, un tremblement de terre réveille-matin, l’impossibilité de deviner un jour prochain, l’inconvénient des mur fins dans les chambres d’hôtel...

Même ce qui n’inspire pas de poésie (un bar où des hommes ne pensent qu’à « lever » des femmes) le pousse à en faire. Il indique le moyen sûr pour faire des rencontres : se promener avec une pendule cassée.
Orson Welles vu dans une pub pour le whisky, l’ennui qui fait errer dans le grand hôtel, la solitude de l’étranger dans Tokyo, ces éléments font aussi penser à ce beau film de Sofia Coppola : Lost in tranlation...

Dans le beau texte d’introduction, Brautigan raconte comment il a découvert le Japon. C’était en 42, il avait 7 ans, et son oncle, qui était « l’avenir de la famille », devait mourir des suites d’un bombardement sur les îles Midway. Après avoir éprouvé de la haine pour les Japonais, il devait découvrir combien ce peuple avait été raffiné avant de sombrer dans le fanatisme guerrier.

« J’aime ce livre car c’est une chanson vraie qui n’annonce aucune lumière au-delà de sa brillance propre. Mais ce que l’on y trouve surtout, c’est cette pureté vers laquelle, en cette drôle de dérive, nous croyons maintenir le cap », a écrit Jim Harrison.

Pour vous donner l’eau à la bouche, voici deux poèmes brautiganiens en diable.


Jour pour nuit (1.06.76)

Le taxi me ramène chez moi
traverse l’aube de Tokyo.
Je suis resté éveillé toute la nuit.
Je dormirai avant que le soleil
se lève.
Je dormirai toute la journée.
Le taxi est oreiller,
les rues sont couvertures,
l’aube est mon lit.
Le taxi me berce la tête ?
Je suis en route vers les rêves.


Les Alpes (2.06)

Un mot

en attente...

conduit à une
avalanche
d’autres mots

si vous êtes dans

l’attente...

d’une femme.



Alors, tenté ?
Poésie à la Brautigan 7 étoiles

Brautigan a vraiment un style particulier, même sa prose est souvent poétique. Cette fois, cependant, il s'agit ouvertement de poésie. Ce qui est encore plus étonnant avec lui, c'est que tout l'inspire, même le plus banal des objets.
Un petit recueil à savourer.

PA57 - - 41 ans - 7 juillet 2012


Ça ne se fait pas, je sais, n’empêche que : 9 étoiles


« Que veux-tu que je te dise ? Rien ne m’a plus touché que ton travail, si peu maniéré et si exact dans son insistante nudité. Tout le contraire d’une juxtaposition de paroles : bel et bien un LIVRE. Un long poème qui offre sa générosité par fragments, sous la forme légendaire, peut être inconsciente du périple. Il est question de courage et de la solitude majestueuse nécessaire pour s’embarquer vers ces terres étranges : à la fois le Japon et la vraie nature du poète, ce lieu où rien ne nous empêche d’avouer d ’avouer et de tout louer. J’aime ce livre car c’est une chanson vraie qui n’annonce aucune lumière au-delà de sa brillance propre. Mais ce que l’on y trouve surtout, c’est cette pureté vers laquelle, en cette drôle de dérive, nous croyons maintenir le cap. »
C’est la quatrième de couverture, elle est signée Jim Harrison, et, comme j’ai pas mieux à dire je vous la livre telle quelle.
Pas mieux non, sauf que j’ajoute un petit truc au bout, tout petit : Tu m’émeus Richard, et à chaque fois que tu me ressers de ta soupe de simplicité, ça me fout le cœur à rebours, tellement à rebours que j’ai envie de te partager. C’est pas rien ça, non, pas rien.

Hommage à Issa, poète japonais de haïku :
Au japon saoul dans un
bar
ça
va

Tokyo 18 mai 1976

Yali - - 60 ans - 12 mars 2005


Oh ! Que oui !... 8 étoiles

Qui pourrait résister à une telle critique ?!... Une merveille !...
Une seule envie, se ruer sur le livre !

C'est vraiment "Lost in translation"... Sofia Coppola a sans doute lu ce livre ? Brando avec sa pub pour un whisky, je ne connaissais pas et je suppose qu'elle s'en est inspiré ?

La phrase de Jim Harrison est superbe ainsi que les deux poèmes !

Bravo ! Il reste à lire et plus rien à dire.

Jules - Bruxelles - 80 ans - 20 mars 2004