En l'absence de Blanca
de Antonio Muñoz Molina

critiqué par Jules, le 17 mars 2004
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
Qui est cette femme ?
Mario ouvre la porte de son appartement, après son travail, et regarde la femme marcher vers lui. Elle marche comme Blanca, elle sourit comme Blanca, elle a l’allure de Blanca, les cheveux de Blanca et l’odeur de Blanca. Mais…

Retour en arrière. Mario est un petit fonctionnaire, dessinateur à la région de Jaen, un fils de paysan qui est monté à la ville. N’ayant pas trop d’ambition, il voulait d’abord être architecte mais s’est contenté de ses études de dessinateur.

Comme beaucoup, il connaissait une jeune fille depuis son adolescence et s’était fiancé avec elle. Mais elle a rompu, prétendant être amoureuse d’un autre. Il ne se fait pas d’illusion, il n’existait pas d’autre, mais tout simplement elle avait rompu « … de ces fiançailles où le futur est plus invariable que le passé » Il se dit qu’ils auraient été voués à « … l’ennuyeuse tristesse des promenades dominicales avec ou sans voiture d’enfant, le doux abrutissement familial, si semblable à la somnolence qui suit un déjeuner. »

Oui, Mario a le caractère solide des paysans, mais il est aussi sans aucune fantaisie. Avec lui la vie est tracée et le futur se devine. Et voilà qu’un jour Mario rencontre, tout à fait par hasard, une jeune femme superbe, mais dans un état de délabrement terrible. L’alcool, la drogue et les médicaments en ont fait un débris bien proche de la fin. Il la porte et la ramène chez elle. Commence alors pour lui un lent travail de dévouement et de reconstruction de cet être qu’il aime sans oser le dire.

Blanca est l’opposée de lui. Elle est la fille d’une grande famille bourgeoise de Malaga mais refuse l’aide de celle-ci. Elle ne pense que grande musique, opéra, art, peinture, cinéma français etc. Lui, le fils de paysan ne comprend rien à tout cela et ne comprend même pas le langage utilisé pour en parler. Blanca va cependant pousser Mario et ils se marient. Amour ? Reconnaissance ?…

Il nage dans un bonheur auquel il n’osait pas rêver mais se sent aussi toujours inférieur à Blanca et donc toujours en danger. Ces sentiments ne font d’ailleurs qu’exacerber son amour.
Chaque artiste qui passe à Jaen est un danger pour lui, car Blanca s’enflamme, adopte de nouvelles passions et de nouvelles langues suivant celui qui s’intéresse à elle. Elle est faite pour la vie à Grenade ou à Madrid mais pas dans ce trou sans culture.

Que va devenir cette union de deux êtres aussi contraires ? Et qui est cette femme qu’il voit dans son appartement ? Blanca, oui, pour beaucoup de choses, mais pas Blanca pour de nombreux autres petits détails.

Un livre qui se lit avec énormément de plaisir. L’auteur ficelle très bien son histoire en utilisant de temps à autre le flash-back Ceux-ci nous permettent de savoir ce qui s’est passé, comment Mario et Blanca sont et pensent.

L’écriture d’Antonio Munoz Molina est belle et précise et il entre très bien dans ses personnages. Comme pour ses autres livres : à lire !
Addiction sentimentale 6 étoiles

Mario est un petit fonctionnaire sans ambition. Un jour il rencontre Blanca. Elle est belle, extravertie, fantasque. Elle va devenir très vite sa seule raison de vivre avant de le quitter. Et Mario s’interroge sur la destinée. Et s’il avait épousé sa première fiancée ? Il serait sûrement le père de deux enfants. Mais il n’aurait jamais rencontré Blanca.
Une jolie histoire d’amour sans espoir, comme toujours très bien écrite par Molina, et très bien construite, mais qui se cherche et hésite entre roman court et longue nouvelle (le livre fait 120 pages).

Ravenbac - Reims - 59 ans - 16 septembre 2011


Une histoire simple 9 étoiles

Un homme simple s’éprend follement d’une femme dont il n’aurait jamais pensé être aimé. Elle suffit dès lors à son bonheur mais elle ne rêve que d’art, que d’ailleurs. Lui qui éprouvait de l’intérêt pour l’Histoire ne cherche plus d’autre histoire qu’elle dès l’instant où il la connaît : elle fonde son présent, unique et précieux. Il lui dédie tout son temps, toutes ses attentions. Mais il n’est pour elle qu’une parenthèse, un havre de paix, une escale dans l’attente de nouvelles aventures. Elle, continue de rêvasser devant la mer.
A mesure qu’on avance dans le récit, dans l’histoire de leur couple, on découvre leur rencontre, l’avant de leur rencontre. Un finale qui laisse la porte ouverte à toutes les interprétations et traduit formidablement le caractère impermanent de toute relation.
C’est écrit dans un sytle fluide qui nous plonge comme si de rien n’était au cœur de l’intimité des personnages. Un bonheur!

Kinbote - Jumet - 65 ans - 12 août 2005


magnifique roman d'amour.. 9 étoiles

Le style de l'auteur passées quelques pages s'installent. L'impression à peine heurtée sur quelques phrases de "belle longueur" (comme le poissonnier dirait "il est beau mon poisson" ;-)) s'estompe assez vite (une difficulté sans doute de traduction). Et l'on découvre un roman d'amour neuf. Tout a été très bien dit dans les précédentes critiques... Le caractère d'une femme cultivée venant se nicher au creux de l'amour inconditionnel d'un homme simple. Les doutes de cet homme. Une forme romanesque évitant tous les écueils, y compris celui de la chute de l'histoire. Un très beau roman d'amuuuuur ;-), abordant, au passage peut être, hormis la belle peinture des deux protagonistes de l'histoire, les raisons de l'attrait et de l'impossibilité du rapprochement de deux êtres que la culture, le milieu, l'enfance séparent. Un roman imprégné de la douceur d'aimer, du calme aimant, de ce qui semble ne jamais pouvoir être qu'un moment de vie. Des années durant ou un instant, quelles que soit les âmes généreuses et la douceur de vivre ensemble, toujours, toujours vient l'instant redouté de l'un des deux de l'heure de la perte... Cette perte qui arrache Mario à lui-même et dont il a conscience dès les débuts, sans que le texte en fasse étalage. Les histoires d'amour finissent mal en général... Un très bel exploit d'Antonio Munoz Molina de nous le faire revivre sous un élan neuf, sous une plume précise dénuée de toute sensiblerie.

Balamento - - 60 ans - 29 août 2004


S'aimer à en souffrir 7 étoiles

Jules et Clarabel ont résumé ce roman de Antonio Muñoz Molina, peu de choses à ajouter à leurs commentaires.
Il est arrivé dans la presse que l'on compare cet texte de Muñoz Molina à "Madame Bovary". Le rapprochement n'est pas tout à fait faux. On y trouve une jeune homme d'origine modeste qui aide une femme à retrouver son équilibre et la marie. On y trouve une femme qui s'ennuie et a besoin d'être aimée et consolée. L'un est dépendant de l'autre, une véritable dévotion-passion s'installe entre les deux protagonistes à la limite parfois de l'étouffement.

Antonio Muñoz Molina transcrit à merveille cette relation entre deux êtres tourmentés qui, tentant de se renforcer mutuellement, finissent par se fragiliser davantage. Le vocabulaire utilisé par l'auteur pour décrire les états d'âme, la force de l'amour ou la puissance d'une passion destructrice est un véritable régal de détail et de précision.
Le talent de l'auteur évite ainsi que ce roman ne s'englue dans une idée de relation connue et déjà traitée par d'autres écrivains, c'est là toute la force de Muñoz Molina qui s'en sort très bien, maniant comme un ténor perversité et sensibilité.

Sahkti - Genève - 50 ans - 26 août 2004


Merci Jules ! J'ai lu ce roman suite à votre critique ..... 9 étoiles

Magnifique roman, "En l'absence de Blanca" raconte l'histoire d'un amour absolu d'un homme pour une femme. Histoire banale, sauf qu'elle est servie de la très belle plume d'Antonio Munoz Molina. Ses mots transcendent la relation entre Mario et Blanca, deux êtres que tout opposait, deux êtres qui allaient s'aimer mais à compte à rebours.

Mario est un employé modèle, fonctionnaire ponctuel, fils de paysans, il vit un appartement cossu dans la petite ville de Jaen. Blanca appartient à la classe supérieure, bourgeoise et cultivée. Leur rencontre, improbable, survient un soir de sortie dans un bar: la jeune femme est désoeuvrée, encore écorchée par une violente relation qu'elle termine avec un type, genre artiste maudit.
Mais tout ça, le narrateur nous l'apprend progressivement car son histoire commence avec "la femme qui n'est pas Blanca" mais porte son chemisier de soie verte, ses jeans ajustés et ses chaussures à talons plats. Cette femme qui n'est pas Blanca a les mêmes gestes qu'elle : les poses, la façon de fumer sa cigarette, les chastes baisers qu'elle donne, les regards... Qui est cette imposteuse ?
Et qui est Blanca, d'abord ? On devine l'importance de cette femme, l'importance dans la vie de l'homme qui parle au lecteur. Une femme qu'il a rencontrée, aimée peu à peu, épousée pendant sept ans, puis perdue. Un amour dévastateur, omniscient et désespéré.

Mario raconte son amour. Comment le refus d'aller à une exposition sur Frida Khalo a bouleversé son épouse, laquelle a oublié cette escapade en parlant d'un travail qu'on lui proposait... et d'abord soulagé de la crise passée, l'homme se rendra compte trop tard de ce que cela cachait. Et donc à reculons, Mario remonte sa relation jusqu'à la rencontre, le passé de la jeune femme meurtrie par une aventure malsaine. Il remonte le cours du chapitre de sa vie auprès de Blanca, car celle-ci est partie. On le sait, on le devine. On découvre pourquoi peu à peu.
"Quelle présomption d'avoir tenu l'amour de Blanca pour assuré, quel aveuglement insensé d'avoir pu croire que le danger n'existait plus, que leur vie commune allait se perpétuer, toujours sereine, comme se perpétue votre travail lorsque vous avez réussi un concours. L'accusation indirecte de Blanca était peut-être justifiée: lui, Mario, s'était transformé en un fonctionnaire mental, avait pensé que se marier était comme décrocher un poste de titulaire, comme cet emploi de dessinateur qu’il occupait au Conseil général où il accumulait peu à peu expérience, routine et triennats."

"En l'absence de Blanca" parle d'un amour fini, parle d'une histoire entre deux personnes, opposées. Et ces oppositions sillonnent le récit et mènent à la conclusion fatale: deux personnes différentes ne font pas forcément bon ménage...
Magnifique roman. Magnifique surtout par l'écriture très stylisée de l'auteur, une plume élégante et poétique. Un vrai régal.

Clarabel - - 48 ans - 27 mars 2004