Notes sur Chopin
de André Gide

critiqué par Alceste, le 2 juin 2016
(Liège - 63 ans)


La note:  étoiles
Sans fausses notes
Dans ses Notes sur Chopin, Gide se révèle non seulement expert en critique musicale mais pianiste accompli. Les morceaux de Chopin qu’il soumet à son analyse savante et minutieuse, il les a lui-même joués et peut donc d’autant mieux en parler.

Gide fait part de ses enthousiasmes pour certains Préludes, pour certains Nocturnes, mais aussi de ses agacements, de ses allergies, voire de ses exaspérations, notamment en ce qui concerne l’interprétation de Chopin par certains exécutants. L’on y retrouve bien ses idées sur les liens entre sentiment et pensée, entre émotion et raison. Et de condamner les tempos trop rapides ou complaisamment lents de ceux qui cherchent l’effet au détriment de la lecture rigoureuse de la partition. Une mauvaise interprétation peut ruiner le plaisir de l’auditeur et le travail du compositeur. « Ces subtils retards me sont insupportables au théâtre pareillement, lorsque l’acteur fait une courte pause pour permettre à l’admiration du public (et à son applaudissement) de se former. »

Finalement, toutes ces notes sont une magnifique illustration de l’adage dont il est l’auteur : « L’art vit de contraintes et meurt de liberté ». Telle Étude déborde-t-elle de sentiments contrastés ? « Mais ici même, répond Gide, je prétends que ce n’est pas le sentiment qui lui dicte la modulation et l’accord, mais bien le sens exact d’une convenance musicale, que le sentiment vient habiter tout naturellement. » À la démesure de Wagner, il préfère la concentration de Chopin, dont l’œuvre, dit-il, est aussi mince mais aussi dense que celle de Baudelaire.

Au passage, une préoccupation qui paraîtra bien vaine à nos contemporains, porte sur le caractère « français » ou « slave » de l’art de Chopin, ce Polonais.

Par ailleurs, il récuse le rapprochement trivial entre les arts, peinture, musique, littérature, ce qui ne l’empêche pas de trouver les mots adéquats pour traduire le phrasé si particulier de la musique de Chopin : « Chaque note décisive n’est atteinte qu’on ne l’ait d’abord circonvenue, par une approche exquise qui la fait espérer et qui la laisse attendre. J’aime que ces premières mesures de découverte soient quelque peu hésitantes encore, et comme de qui n’ose oser, puis s’abandonne à cette effusion charmante où la surabondante joie se mêle à la mélancolie ; puis tout se fond dans la caresse pour un amoureux abandon. »

Un beau concentré de Gide…