Quel beau dimanche !
de Jorge Semprún

critiqué par Eauzen, le 26 mai 2016
( - 65 ans)


La note:  étoiles
Semprun ou quand la culture se joue de la barbarie
Un livre exceptionnel.

Exceptionnel de par son auteur, Jorge Semprun, philosophe, dissident communiste, ex-ministre et résistant, déporté à Buchenwald.

Ce livre est aussi exceptionnel par son contenu matrice, un dimanche à Buchenwald pendant l'hiver 1944

Encore un livre sur la shoah pourra-t-on objecter...

Ce livre est bien plus que cela.(de plus Buchenwald n'était pas un camp, d'extermination mais un camp de concentration) Autour de cette journée pivot et de l'événement inouï, l'auteur fait des incursions dans le passé ou la période plus contemporaine, relatant sa vie de résistant, de responsable communiste, de réfugié espagnol. Cette architecture peut déconcerter le lecteur qui est déboussolé s'il n'a pas sous ses yeux un livre avec un récit au style "jardin à la française", une trame bien linéaire, bien rangée.. Au cas présent, le propos est toujours intelligible passionnant et poignant.

L'oeuvre s'ouvre avec une scène hallucinante, l'auteur est sur le point d'être abattu par un SS et doit son salut grâce à Goethe... s'il est un endroit où la culture pouvait a priori n'être d'aucun secours c'était bien ce lieu de la négation absolue de toute dignité spirituelle. Ces premières lignes il n'y a guère que celles de Salammbô, de mon point de vue, pour être aussi puissantes.

Le lecteur découvrira aussi des aspects méconnus de l'univers concentrationnaire de Buchenwald où les communistes allemands assuraient de facto la gestion d'aspects essentiels de la vie du camp en particulier l'affectation des détenus. Une affectation dans un commando extérieur comme la dantesque usine souterraine de Dora et c'était la mort assurée dans des conditions de souffrance abominables. Cette situation n'est pas sans interpeller sur des questions philosophiques que Primo Levi avait aussi évoquées. La survie justifie-t-elle la négation de certains principes éthiques ? Comment qualifier ce droit de vie ou de mort de certains détenus sur la majorité des autres?

Oui un livre exceptionnel et un chef d'oeuvre