Tête-Dure
de Francesco Pittau

critiqué par Débézed, le 17 mai 2016
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Immigrés en Belgique
« Tête-Dure », c’est un môme d’une famille d’immigrés italiens qui sont venus travailler en Belgique pour gagner quelques sous pour survivre. On l’appelle « Tête-Dure » non pas parce qu’il aurait un mauvais caractère, une forte tête, ou un tempérament irascible, non seulement parce qu’il semble insensible à tout, son père lui a appris que lorsqu’on était un homme on ne pleurait pas, on n’avait pas mal, il suffisait de serrer les dents. Le môme, il a vite compris que pour avoir la paix et éviter les roustes, il valait mieux la fermer et se réfugier dans son monde, son monde à lui c’est les jouets qu’il fait vivre dans des univers qu’il créé sous la table, dans un angle de la pièce, dans n’importe quel coin que les adultes ne fréquentent pas ou peu.

L’histoire de ce gamin et de sa famille est tellement vraie, sonne tellement juste, le langage et le vocabulaire de l’auteur sont tellement savoureux, tellement en adéquation avec l’histoire qu’on croirait réellement qu’il vécu dans cette famille ou dans une qui lui ressemblerait étrangement. Pittau nous raconte la vie ce môme comme si c’était la sienne, il raconte un week-end en particuliers, celui des 27 et 28 octobre 1962, resté célèbre dans la mémoire collective car c’est celui où les Américains et les Russes se sont dressés comme deux coqs au point de prendre le risque de déclencher une guerre nucléaire à propos des missiles installés à Cuba par les Soviétiques. En ce week-end, les nerfs étaient à vif, le père buvait des bières avec le voisin jusqu’à l’ivresse, se chamaillant à propos de politique, et la mère était en retard pour faire la cuisine, elle avait rencontrée une voisine au marché. Le père a gueulé, la mère s’est rebiffée et les beignes sont parties, le père a claqué la porte et quand il est rentré il a emmené le gamin chez le coiffeur, artisan occasionnel coupeur d’oreille par maladresse. Mais le gamin ne pleure pas, c’est un homme. Pour ne pas rentrer trop vite à la maison, le père entreprend la tournée des bistrots en laissant le gamin dans des familles à peu près semblables, des familles où les femmes la ferment, où les hommes travaillent comme des brutes et se comportent comme telles.

Résumée en un week-end, c’est toute la vie des immigrés italiens qui ont quitté leur pays pour gagner une vie miséreuse en Belgique, mais ça aurait pu être des immigrés d’autres origines, l’histoire aurait été peu différente. C’est l’existence d’une société de mâles exploités pour quelques sous qui tyrannisent leur femme comme pour se venger du traitement qu’ils subissent. Madame Giovanna, elle a tout compris, elle sait ce que c’est un couple : « Lui, c’est l’homme, dit Madame Giovanna. Il travaille, il rapporte des sous, et moi je suis là pour la maison et les enfants. Il ne manquerait plus que je commande ! Non, non, moi à ma place et lui à la sienne. S’il met les mains sur une casserole, je l’assassine ! » Mais la voisine belge n’est pas d’accord, elle ne comprend pas que la mère encaisse les taloches et les beignes et qu’en plus elle culpabilise, « qu’un homme reste un homme malgré tout, et qu’il a le droit de, et qu’il peut se permettre de, et que, Chez Eux, ce sont les hommes qui commandent et que c’est mieux comme ça… » La voisine, elle ne supporte pas, elle hurle : « Tu es folle ! Tu es folle malade ! C’est lui qui lève la main sur toi, et tu vas dire qu’il a raison ? »

Le gamin, lui, il voudrait seulement qu’on ne s’occupe pas de lui, qu’on ne le mêle pas aux histoires des grands, qu’on ne le traîne pas des familles encore plus pénibles, il s’en fout, il vit dans son monde, il veut juste rester dans ses rêves.

Un texte extrêmement goûteux, un texte que j’ai dégusté, une écriture taillée sur mesure pour raconter la vie de cette société de travailleurs exploités, de femmes avilies, dominées et même battues et de gamins qui s‘élèvent tout seuls à l’écart des querelles des adultes.