L'île des rêves
de Keizō Hino

critiqué par Fanou03, le 4 mai 2016
(* - 49 ans)


La note:  étoiles
Les franges obscures de Tokyo
Shôzô Sakai est cadre dans une entreprise de Bâtiment à Tokyo. Veuf, il mène une vie simple. Ses loisirs se réduisent à observer la ville et admirer les nouveaux immeubles en construction. Ses pas l’entraînent un jour par hasard vers un immense terre-plein que la ville de Tokyo gagne sur la mer en y enfouissant les ordures ménagères de l'agglomération. Shôzô Sakai va bientôt délaisser ses chers immeubles au profit de l’exploration de ces espaces à la fois artificiels et sauvages qui l'attirent inexplicablement.

Le titre du roman est une formule qui pourrait paraître bien ironique au regard des paysages que le personnage principal fréquente au cours de ses pérégrinations urbaines. Surfaces artificielles constituées de couches de déchets et de terre, ou îlot oublié de la baie de Tokyo, à la flore inquiétante, hanté par la mort, ces no man's land ne font pas figures à première vue de destinations touristiques de premier choix ! Mais le talent de Keizo Hino est de construire une ambiance fortement onirique, à la limite du fantastique, à partir de la découverte de ces territoires délaissés par les hommes. En cela ils sont générateurs de rêves, mais pas forcément des plus sereins...

À l'image d’un Kōbō Abe et de son Plan Déchiqueté, le décor urbain de l’île des rêves est au cœur du roman, il nourrit le récit. Mais contrairement au roman de Kōbō Abe, la ville n'est pas anonyme. Nous sommes ici à Tokyo, cité de buildings de béton. Le personnage principal, Shôzô Sakai, vit profondément la structuration de sa ville, aime la comprendre, la connaître, l’entendre respirer. Quand il s’aventure sur les franges, ces territoires improbables que Tokyo prends à la mer en y déversant ses détritus, le paysage mental de Shôzô Sakai se modifie imperceptiblement. La vie, relativement frustre du quinquagénaire va prendre, au fur et à mesure qu’il se compromet en quelque sorte dans ces marges à la fois fascinantes et obscures, où l’organique se mêle à l’artificiel, un tour inattendu.

La compréhension de la topographie urbaine de Tokyo est le point un peu délicat du roman, car en l’absence de note de l’éditeur ou du traducteur, j’ai eu du mal à appréhender, au moins au début de ma lecture, le concept de ces terres-pleins qui se développent aux marges de la capitale japonaise. Mise à part ce bémol, force est de reconnaître que l’île des rêves est un superbe roman, aux tableaux parfois absolument saisissants, qui sait manier l’ambiguïté sur la nature des personnages du livre avec beaucoup de brio. Réflexion sur le monde dans lequel nous vivons, sur les relations entre l'homme et son environnement, le roman de Shôzô Sakai a été pour moi un très beau moment de lecture.