Au temps de l'anarchie, un théâtre de combat : 1880-1914, tome II
de Auteur inconnu

critiqué par Cyclo, le 19 avril 2016
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
théâtre de Louise Michel et Georges Darien
Intéressé par ces deux écrivains (et personnages), je me suis procuré le livre qui édite leurs pièces de théâtre et qui fait partie d'une série de trois.
Il faut noter que des trois pièces de théâtre de Louise Michel éditées ici, "Nadine", "Le coq rouge" et "La grève", et qui furent toutes trois jouées, seule la seconde fut publiée de son vivant. "Nadine" et " La grève" se passent en Pologne (décidément, en cette fin du XIXème siècle, la Pologne est le refuge où l'on situe volontiers les pièces polémiques, cf "Ubu roi" de Jarry : "La scène se passe en Pologne, c'est-à-dire nulle part"), tandis que "Le coq rouge" se passe en France. Contrairement à ses romans-feuilletons indigestes aujourd'hui, ces trois pièces se lisent avec beaucoup d'agrément. Louise Michel se positionne dans la lignée du théâtre romantique (elle admirait Hugo), du mélodrame, du naturalisme et du théâtre social. Le cocktail fut suffisamment explosif pour que la censure exige de nombreuses coupures pour les représentations. C'est que Louise Michel n'hésite pas à condamner avec véhémence les riches et les puissants, bourgeois ou aristocrates, et à prôner la grève générale, la révolution et les idées anarchistes. Pourtant, tout ça nous paraît bien anodin aujourd'hui : faut croire que quinze à vingt ans après la Commune de Paris, les tenants de l'ordre social tremblaient encore. On peut regretter que ces textes n'inspirent pas aujourd'hui des metteurs en scène, voire des cinéastes, car l'action caracole, il y a de nombreux changements de lieux. On ne s'ennuie pas une seconde.
Georges Darien, lui, dont on trouvera ici sept pièces ("Les chapons", adaptation de son roman "Bas les cœurs", "L'ami de l'ordre", "Croissez et multipliez", "Le pain du bon Dieu", "La faute obligatoire", "Le parvenu" et "Biribi", d'après son roman éponyme), dresse un portrait au vitriol de la société de son temps, attaque les bourgeois (notamment les Versaillais), l'armée, les propriétaires, l'ordre établi, la corruption, la philanthropie et aussi la servilité trop commune : presque personne ne trouve grâce à ses yeux. Un théâtre virulent et féroce, d'une très belle écriture. Comme ses romans. Une curiosité : "Le parvenu" est une pièce consacrée à Napoléon Ier (qui y dit : "La brutalité tire un homme du marécage des conventions, le place sur le solide terrain des instincts").
Cette publication, à laquelle il faut joindre les deux autres volumes (le premier concernant des auteurs moins connus, le troisième étant consacré exclusivement au théâtre d'Octave Mirbeau) nous permet de constater qu'en cette fin de siècle, il y avait autre chose que du théâtre de boulevard (style Feydeau) ou néo-romantique (style Rostand), et que des auteurs essayaient de toucher un public populaire (avec succès, semble-t-il, d'après les rapports de police).
En tout cas, pour qui aime le théâtre et en lire, ces trois volumes sont une découverte et un régal. De plus, la préface générale et les préfaces de chaque pièce sont remarquables. Les coupures censurées ont été rétablies. Un passionnant travail d'édition.