Un fauteuil sur la Seine
de Amin Maalouf

critiqué par CHALOT, le 17 avril 2016
(Vaux le Pénil - 76 ans)


La note:  étoiles
une page originale de notre histoire
« Un fauteuil sur la Seine »
quatre siècles d'histoire de France
d'Amin Maalouf
éditions Grasset
330 pages
mars 2016

A travers les siècles

L'Académie Française vient d'être créée, nous sommes en 1634.... Il s'agissait d'abord d'une rencontre régulière entre plusieurs « amis » des lettres et des arts.
Rien n'est officiel, jusqu'au jour où le cardinal Richelieu, tenu au courant grâce à une indiscrétion , voulut savoir si : « … ces personnes ne voudraient point faire un corps et s'assembler régulièrement, sous une autorité publique ».....
Rien d'innocent dans cette proposition de l'homme fort qui écoutait et espionnait toute la France.
Amin Maalouf, admis sous la coupole comme « immortel » nous raconte l'histoire de tous ses prédécesseurs sur le 29ème fauteuil de la noble institution.
Nous sommes ainsi invités à découvrir les personnalités de ces hommes célèbres en leur temps ou encore honorés aujourd'hui.... Il y a la grande histoire et aussi la petite, celle des rivalités, des jalousies, des élections.
Le lecteur découvre, qu'à côté des traditions qui veulent que le nouveau titulaire honore par un discours son prédécesseur, surviennent quelques incidents.
C'est ainsi que Paul Challemel-Lacour transforme l'éloge prévu en réquisitoire : il n'a jamais aimé Ernest Renan parce que ce dernier n'a eu cesse de dénoncer la Révolution française.
Après la première guerre mondiale, des personnalités militaires, non scientifiques ni littéraires sont entrées à l'Académie française.... C'est ainsi que le maréchal Pétain fit son entrée.....
A la Libération, Duhamel, romancier ayant eu plusieurs ouvrages interdits par les nazis rencontra le général de Gaulle pour s'inquiéter de l'avenir de l'Académie.
« Qu'allez-vous faire du maréchal Pétain ? Lui demanda, d'entrée, le chef de la France libre.
Et vous, mon général, qu'allez-vous en faire? » rétorqua Duhamel. ».
Le général, surpris; répondit.... Quant à l'Académie française, elle exclut Pétain de ses rangs mais ne nomma un nouveau titulaire sur le fauteuil, qu'après le décès du maréchal déchu.

Cette légende des siècles écrite par ce romancier humaniste doté d'une excellente plume m'a ravi.

Jean-François Chalot
Les Académiciens du fauteuils 29 9 étoiles

Amin Maalouf rend hommage à ses prédécesseurs du fauteuil 29 de l'Académie français, car il n'a pu y procéder, dans son discours de réception qu'à son occupant immédiatement antérieur, Claude Lévi-Strauss, qu'il respecte infiniment. Henri Lichaux, Ernest Renan, Henri de Montherlant méritent bien, également, l'espace d'un souvenir de prestige. Et ainsi n'est-il pas vain d'éclairer la carrière et le parcours de tant de personnages tombés dans l'oubli. Dans ces pages, il est également question des non-élus célèbres à ce fauteuil, Pierre Corneille, qui n'entra jamais sous la Coupole, et Victor Hugo, qui finit par y accéder après maintes tentatives.
Cette histoire permet de se rendre compte des caprices et évolutions positives de cette institution originale, désuète en grandes parts, mais tout de même représentative des considérations littéraires de l'heure.
Ce livre en apprend donc beaucoup sur le statut d'écrivain et une histoire française prise sous un angle très spécifique. Il parait donc assez utile, l'air de rien.

Veneziano - Paris - 46 ans - 23 octobre 2023


On y trouve du bon comme du médiocre 7 étoiles

Elu à l’Académie Française au fauteuil 29, Amin Maalouf prépare le traditionnel discours dans lequel il est tenu de faire l’éloge de son prédécesseur. Mais sa curiosité le pousse à se tourner au-delà, vers cette généalogie symbolique de tous ceux qui l’ont précédé sur fauteuil 29. Nous voici repartis de la création de l’Académie Française au XVIIème par Richelieu, qui avait forcé un groupe d’amis se réunissant pour discuter à devenir une entité officielle placée sous sa haute protection.
Les chapitres se succèdent pour présenter dix-huit académiciens, à peu près toujours sur le même plan pour raconter les circonstances de leur entrée à l’académie et les grandes lignes de leur biographie. On découvre en parallèle de l’Histoire de France des pans de son histoire culturelle et intellectuelle (pas seulement littéraire puisque l’Académie a accueilli en son sein des personnalités du monde scientifique ou économique), le tout ponctué des inévitables mesquineries et rivalités.
L’idée est originale, mais l’intérêt est variable selon les personnages, certains chapitres tournant au remplissage et on sent parfois l’exercice laborieux de documentation pour y arriver. Ca se laisse lire mais c'est comme l'Académie française : on y trouve du bon comme du médiocre

Romur - Viroflay - 51 ans - 14 octobre 2018


L'Histoire à travers l'Académie française 7 étoiles

Amin Maalouf en jetant un œil sur sa filiation académicienne s'est aperçu que chacun des hommes qui l'a précédé, à défaut d’avoir toujours été une personnalité de premier plan était un témoin privilégié de son époque. Et en dressant leur portrait, du tout premier Pierre Bardin au dernier Claude Levi-Strauss, c'est non seulement une galerie de personnages brillants qu'il nous offre, mais surtout une façon originale de parcourir notre Histoire depuis que l'Académie s'est constituée.

C'est bien écrit, vivant, mais c'est un exercice délicat puisque tous ses prédécesseurs n'ont pas la même épaisseur. Parfois passionnant, toujours intéressant, d'autres fauteuils mériteraient aussi le même traitement.

Elko - Niort - 48 ans - 9 septembre 2018


Quelques pages en présence d’anciens … immortels 8 étoiles

L’élection à la noble Compagnie les rend immortels. Etrange paradoxe que révèlent ces histoires si bien documentées par Amin Maalouf, succédant à Claude Lévi-Strauss au fauteuil 29. Le rituel veut que le discours de réception du nouvel élu comporte un éloge de son prédécesseur. De fil en aiguille, faisant preuve à la fois d’originalité et de considération pour chacun d’eux, celui-ci est remonté jusqu’au premier des 18 occupants qui l’ont précédé depuis l’officialisation de l’Académie sous l’égide de Richelieu en 1642. Sa manière élégante de faire surgir en quelques pages l’histoire et le souvenir de personnages souvent illustres en leur temps pour les uns, mal aimés ou tout simplement oubliés pour d’autres représente un hommage appréciable à notre culture ainsi qu’à notre langue. Par les bouleversements dont a été témoin l’institution académique devenue la Coupole on devine que c’est elle dont la permanence confère en quelque sorte l’immortalité à ses membres.

Colen8 - - 83 ans - 11 mai 2016


Place F29, 1ère classe 10 étoiles

En général, le nouvel académicien se contente de faire l’éloge de son prédécesseur. Dans le cas présent, Amin Maalouf vient d’hériter du fauteuil 29, celui de Claude Lévi-Strauss. Pas n’importe qui. Un cador. Un intellectuel avec un « i » majuscule qui a évoqué lui-même cette « généalogie fictive » qui regroupe tous les académiciens qui ont occupé ce fauteuil.
Mais cela n’est qu’un des points d’entrée de Maalouf dans ce projet de faire la biographie de chacun des 18 personnages qui se sont succédé à cette fameuse place n° 29. En effet, lors de recherches sur les croisades, il a trouvé, dans le Quartier Latin si je me souviens bien de l’interview, les œuvres d’un historien qu’il ne connaissait pas, franchement oublié du grand public, Joseph Michaud, considéré à son époque comme un spécialiste de la chose. C’est à partir de cette découverte que Maalouf s’est lancé dans cette passionnante enquête qui n’est pas seulement un album de notices biographiques mais une mise en perspective de chacun de ces destins dans l’histoire de France. Comme l’auteur le dit dans une interview accordée au magazine, Lire : « chacun des personnages est révélateur d’un moment de l’histoire politique, littéraire et sociale ».
Tous ne sont pas des inconnus puisque, hors Lévi Strauss, on y trouve Montherlant, Ernest Renan ou le médecin Claude Bernard. D’autres, comme Florian, on a perdu le nom en cours de route mais on en a gardé des vers devenus des classiques, pratiquement des proverbes : « Plaisir d’amour ne dure qu’un moment, chagrin d’amour dure toute une vie », « rira bien qui rira le dernier », « les vaches seront bien gardées » ou « pour vivre heureux vivons cachés ». Pour les autres, disons-le clairement, à moins d’être un érudit de haute volée, il s’agit d’illustres inconnus, même le premier occupant du siège, Pierre Bardin, « premier immortel à mourir » 14 mois après avoir été reçu : noyé en voulant sauver son pupille. De son œuvre littéraire, on dira qu’il jouissait d’une certaine notoriété mais qu’il n’a jamais été un écrivain majeur. De plus, comme tous les auteurs de sa génération, là-bas en 1634, il est au creux de la vague littéraire, peinant à suivre la précédente, celle des Rabelais, Ronsard, Du Bellay ou Montaigne. La génération suivante verra des auteurs du calibre de Molière, Racine, Corneille ou La Fontaine. Mauvais timing.
D’autres, enfin, comme François de Callière, ont été tirés de l’oubli même si leurs œuvres, dans le cas de Callière, "De la manière de négocier avec des souverains", reviennent sur les bureaux des diplomates plutôt que sur les étalages des librairies.
Évidemment, on peut se demander s’il est bien nécessaire de s’intéresser à des inconnus membres d’une institution dont le rôle, aujourd’hui, paraît bien dérisoire : « La principale fonction de l’Académie sera de travailler, avec tout le soin et toute la diligence possible, à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences. » (Article 24 des statuts.)
Cette mission doit se traduire par la rédaction de quatre ouvrages : un dictionnaire, une grammaire, une rhétorique et une poétique ; seul le Dictionnaire sera réalisé par l’Académie.
La réponse de l’auteur, toujours dans le magazine Lire, est très claire : « Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin de préserver des éléments identitaires porteurs de culture et qui ne soient pas agressifs. Face à une affirmation identitaire violente, nous avons besoin de repères identitaires apaisés ».
Brillant, enlevé, amusant, didactique mais jamais ennuyeux, ce voyage dans un fauteuil fait revivre au lecteur attentif les batailles d’ego qui ont fait échouer des candidatures célèbres, Zola par exemple, les querelles du Cid et la Fronde, les Francs-Maçons, le Second Empire, la Commune, l’affaire Dreyfus… Dix-huit portraits qui sont comme autant de lumières portées sur la grande toile de l’histoire de France.

Numanuma - Tours - 51 ans - 5 mai 2016