Du polar
de François Guérif

critiqué par AmauryWatremez, le 16 avril 2016
(Evreux - 54 ans)


La note:  étoiles
La vie en noir
« Noir c'est noir il n'y a plus d'espoir » Jean-Philippe Smets

Les bons livres se reconnaissent généralement à un symptôme lorsque le lecteur les parcourt, on peut en dévorer cent pages d'un coup sans s'en rendre compte. Ils font plaisir. Avec ce recueil d'entretiens, on se prend au jeu rapidement et avoir de suite envie de les relire, pour la bonne bouche. Certes François Guérif semblera parfois injuste dans ses détestations et rejets, par exemple concernant Fajardie, mais quel ennui serait ce bouquin sans subjectivité ! Les auteurs ménageant la chèvre et le chou, se souciant de ne déplaire à personne, n'ont strictement aucun intérêt. Ils font souvent couler un robinet d'eau tiède tout en étant persuadés de l'avoir réinventée, ce n'est pas le cas de ce livre.

On n'est bien entendu pas obligés d'apprécier le Roman Noir tout comme on n'est pas forcés de goûter les délices de Capoue ou les rognons délicatement à la poèle (avec un peu de vin rouge). Bien sûr c'est passer à côté de tout un pan de la Littérature moderne rentrant dans ce « genre », genre encore largement sous-estimé : pour les arbitres des élégances ce ne sont pas en effet des livres dignes de ce nom...

...Ces arbitres étant généralement de petits jeunes gens proprets n'ayant pour la plupart pas lu grand-chose en dehors de ce qui était au programme en khâgne, je pense que l'on ne saurait trop leur conseiller d'utiliser leur avis en onguent pour les hémorroïdes. On aurait pu croire que ce mépris et ce dédain appartenaient au passé ces dernières années mais ils reviennent en force. Le petit bourgeois pédagogue à prétentions culturelles n'aime pas ces livres qui décrivent aussi bien sa forfaiture et en plus parfois en des termes inconvenants ma chère.

Se priver de lire du « Noir », que ce soit du bien serré nerveux et corsé ou de l'allongé, moins intéressant, c'est se priver du style de Jean-Patric Manchette écorché vif détestant la foule, de celui de James Ellroy, autre grand écorché, ou des « nouveaux mystères de Paris » de Léo Malet, de l'humour de Charles Williams, de celui plus piquant, y compris politiquement, d'A.D.G et d'autres. C'est ignorer Simenon, le Balzac du XXème siècle, dans une certaine mesure. C'est relèguer injustement des dizaines d'auteurs dans des limbes. En se rappelant que décrire les marges de la société ainsi que ces auteurs le font, c'est aussi parler de notre monde, de ses nombreux travers, ses multiples hypocrisies à commencer par celles de ses pseudo-élites.

Depuis toute éternité, François Guérif aime le Roman Noir, le Polar, le Policier, les « forçats de l'Underwood », les laborieux de la copie pissant de la page pour gagner leur croûte, les céliniens et les néo-polardeux, les lumineux et les glauques tendance poisseuse comme André Héléna, et les écrivains pour qui le style semble couler sans peine, les « grands » auteurs dont les œuvres sont des « classiques » immédiats tel Ellroy, dont Guérif nous apprend dans ces entretiens qu'il ne ment jamais, petite spécifié de caractère due à l'appétence originelle de l'auteur du « Dahlia bleu » pour la provocation sans filtre (Note personnelle : l'auteur de ce billet adore aussi).

Il a participé à diverses revues spécialisées ou non, littéraires et cinématographiques. Il a travaillé avec Marcel Duhamel à la « Série Noire » chez Gallimard qui l'effraya par sa technique particulière de traduction des romans américains. Il était copain avec Chabrol et Jim Thompson. Il était ami avec Léo Malet malgré ses idées à l'opposé des siennes, le père de Nestor Burma étant passé de l'anarchisme pur et dur des surréalistes à l’extrême-droite. Il sentait le soufre auprès des thuriféraires du néo-polar pour cette raison. Guérif fut directeur de collection dont « Label rouge » et de la revue « Polar », outil de travail pour les amateurs du genre. Il dirige depuis trente ans « Rivages/Noir » chez Payot.

Il évoque ses choix éditoriaux, on aurait pu craindre une publicité « corporate » pour l'anniversaire de la collection, c'est plutôt une bonne surprise, et en creux Guérif raconte « son » histoire du Roman noir.