Requiem
de Anna Andreevna Akhmatova

critiqué par Septularisen, le 29 mars 2016
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
Et que les draps noirs recouvrent ce qui est arrivé. Et qu’on emporte les lanternes… Il fait nuit.
Le poème « Requiem » naît à Leningrad (aujourd’hui redevenu St. Pétersbourg). A cette époque pour Anna AKHMATOVA (1889-1966), commencent des années de cauchemar.
Comme des centaines d’autres femmes, elle fait tous les jours la queue devant la prison de Leningrad (ironiquement nommé "Les Croix"), pour essayer ne fut-ce que d’apercevoir Lev GOUMILEV (1912-1992), son fils unique, emprisonné sans aucun motif en 1938 (libéré en 1940 il participera à la Deuxième Guerre Mondiale, avant d’être à nouveau condamné aux travaux forcés en 1949, pour finalement être libéré en 1956) :

Dix-sept mois je crie
Et je t’appelle à la maison.
Aux pieds du bourreau, je me jetais,
Mon fils et mon horreur ! (…)

Ou encore :

Avec tes larmes brûlantes
Tu fondras la glace de l'an nouveau.
Là-bas, le peuplier de la prison se balance.
On n'entend rien. Combien de vies innocentes
S'achèvent là-bas...

Une «femme aux lèvres bleuâtres» demanda à la poétesse, qu’elle avait reconnue, si elle était capable de témoigner sur ce qui se passait, sur ce que vivaient toutes ces femmes… Anna AKHMATOVA répondit oui et «Alors, une espèce de sourire glissa sur ce qui avait été jadis son visage ».
Ecrits entre 1930 et 1957 aucun des poèmes de ce recueil ne sera jamais publié en U.R.S.S. Pire encore, par peur de la répression, aucun ne sera même jamais écrit! Tous nous parviendrons à travers ses amis qui les apprenaient par cœur. La première publication de «Requiem» en langue Russe se fera en décembre 1963… à Munich en Allemagne! Et qui plus est «à l’insu et sans le consentement de l’auteur»!

Inutile de dire ici que ces vers sont pleins de la souffrance, de la douleur, de la tristesse et du désespoir d’une mère. Le long poème peut d’ailleurs aussi se lire en remplaçant la mère par le peuple Russe et les souffrances qu’il éprouve sous le joug de la dictature.

Cette femme est malade,
Cette femme est seule.
Fils en prison, mari dans la tombe,
Priez pour moi.

Ou encore :

Non, ce n’est pas moi, c’est quelqu’un d’autre qui souffre.
Souffrir ainsi, je ne l’aurais pas pu.

C’est une poésie simple, ample, magnifique. On est saisi par ces mots si beaux, desquels s’échappe pourtant une souffrance qui semble n'avoir aucune limite.
Bien qu’Anna AKHMATOVA, redoute à tout moment que l’on lui annonce la mort de son fils unique:

Quoi qu’on fasse, tu arriveras. Pourquoi pas maintenant ?
J’éteints la lampe et j’ouvre la porte
A toi, si simple, si merveilleuse,
Prends le visage que tu voudras (…)

Elle ne cédera jamais devant le joug de la dictature ni devant la « facilité » que pourrait lui apporter l’exil. A la libération de son fils (qui malheureusement ne sera que de courte durée) en mars 1940, elle écrira ceci :

ÉPILOGUE (I)

Et j'ai appris comment s’effondrent es visages,
Sous les paupières, comment émerge l’angoisse,
Et la douleur se grave sur les tablettes des joues,
Semblables aux pages rugueuses des signes cunéiformes ;
Comment les boucles noires ou les boucles cendrées
Deviennent, en un clin d’œil, argentées,
Comment le rire se fane sur des lèvres soumises,
Et, dans un petit rire sec, comment tremble la frayeur.
Et je prie Dieu, mais ce n'est pas pour moi seulement,
Mais pour tous ceux qui partageaient mon sort,
Dans le froid féroce. dans le juillet torride,
Devant le mur rouge devenu aveugle.

Rappelons que le nom d’Anna AKHMATOVA a été proposé à cinq reprises pour le Prix Nobel de Littérature.