Watertown
de Jean-Claude Götting

critiqué par Blue Boy, le 14 mars 2016
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
La nage du merlan en eau profonde
Dans une petite ville des Etats-Unis, une serveuse disparaît du jour au lendemain, juste après la mort accidentelle de son patron. Intrigué par une succession de coïncidences troublantes, Philip Whiting, employé subalterne d’une compagnie d’assurance, va s’improviser détective pour l’occasion.

Jean-Claude Götting est un peu le petit frère de Loustal, de par son style très similaire. Peintre comme son aîné, avec qui il avait d’ailleurs collaboré en tant que scénariste sur l’album « Pigalle 62.27 » en 2012, il célèbre cette année trente ans de carrière. Dans le cas de ces deux artistes, parler de « bande peinte » serait plus approprié. Par son trait charbonneux et ses cases conçues comme des tableaux, Götting réussit à insuffler une atmosphère unique, où, comme pour Loustal, la contemplation prime sur l’action, laquelle se déroule souvent dans un cadre « vintage ». « Watertown » ne déroge pas à la règle, et on prend un réel plaisir à se plonger dans ces ambiances feutrées à la Hopper, relevées par une mise en couleur subtile aux teintes mélancoliques. C’est tout simplement magnifique ! A noter qu’il s’agit de sa première BD en couleur, l’auteur réservant habituellement celle-ci pour des illustrations, les plus connues étant les couvertures de la série « Harry Potter ».

Le scénario quant à lui respecte scrupuleusement les codes du polar (du moins en apparence car il va d’une certaine façon les détourner), et Götting parvient à nous captiver dès la première page en conservant une narration fluide jusqu’au dénouement, ou plutôt juste avant.... Car ce dénouement ne viendra pas du tout comme on pourrait s’y attendre. Abrupt, inattendu, déstabilisant, décevant peut-être pour certains, mais cruel aussi, telle une mise en abyme précipitant le personnage principal vers une probable descente aux enfers. Plus qu’un roman noir, il s’agirait plutôt du portrait d’un homme ordinaire, un rien pathétique (doté d’un patronyme signifiant « merlan »), loser patenté qui voulut se faire son cinéma en jouant au détective et fut rattrapé par une réalité cruelle… Impossible d’en dire plus sans révéler l’intrigue, mais une fois passée cette première impression de rester sur sa faim, on finit par se dire que si l’auteur nous a cueillis si facilement, c’était peut-être pour nous emmener vers le terrain de son choix avec cette thématique existentielle, terrain moins « héroïque » qui pourrait renvoyer à chacun des reflets peu agréables, mais sans doute salutaires, à l’heure où le miroir aux alouettes de l’internet glorifie l’égo tous azimuts, avec ce constat lucide et sans appel : prendre ses désirs pour des réalités est risqué, d’autant plus lorsqu’on est médiocre…

Quoi que l’on pense de la conclusion, « Watertown » recèle beaucoup de charme, notamment grâce à ses qualités picturales et à un récit atypique qui envoûteront autant les amateurs de romans policiers que de romans graphiques.