Gazole
de Bertrand Gervais

critiqué par Libris québécis, le 12 mars 2016
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Suicide d'un lycéen
Les statistiques nous apprennent que le taux de suicide chez les jeunes hommes est très élevé. Des centaines s'enlèvent la vie chaque année au Québec et des milliers au Canada. Bertrand Gervais scrute l'univers de cette brutale fatalité à travers son œil de professeur qui rencontre chaque jour ces candidats, dont la mort alimente les colonnes des journaux. L'adage populaire affirme que la jeunesse est une période d'insouciance et d'exubérance, mais la réalité prouve tout le contraire.

L'auteur dépeint surtout les répercussions psychologiques sur l'entourage de celui qui se suicide, en l'occurrence un collégien qui écrit les paroles des chansons pour un band formé d'amis du même lycée, quelque part au Saguenay. L'atmosphère funeste de l'œuvre est rendue en premier lieu par des appellations moroses. Livre des morts est le nom du groupe, qui se produit au bar des Sales Guenilles. Le spectre de la mort n'est pas évoqué en vain. Il frappe donc le parolier que l'on retrouve nu et en érection, pendu à un crochet de sa chambre. C'est le chanteur du groupe et la claviériste (Gazole) qui font la macabre découverte du cadavre de Lancelot Tremblay. Son geste mortifère les marque profondément. Le deuil qui s'en suit est pénible parce qu'ils doivent se réapproprier leurs corps pour en avoir perdu la valeur en voyant celui de leur ami pendu.

En stigmatisant les conséquences de la mort sur autrui, Bertrand Gervais voulait peut-être aiguiller les jeunes sur des rails qui les détournent du suicide. La vie se nourrit de celle des autres. Disparaître, c'est couper les vivres à ceux que l'on aime. Et il n'est pas facile de se tourner pour aller s'abreuver à d'autres sources. L'intention est louable, mais son expression s'embourbe inutilement dans les dédales de la criminalité. La gravité du sujet n'exigeait pas que l'on franchît les frontières psychologiques des personnages, comme le passage des Hell's Angels et l'exploitation d'une onomastique particulière pour caractériser les héros. Que Gazole soit ainsi surnommée parce que son père tient une station-service relève du trait comique plutôt que de la tragédie. Encadré par la musique des jeunes, ce roman s'égare un peu, mais touche son but par l'authenticité de son appel à la solidarité humaine.