L'arbre du pays Toraja
de Philippe Claudel

critiqué par Hcdahlem, le 5 mars 2016
( - 65 ans)


La note:  étoiles
L'arbre du pays Toraja
Il y a sans doute de multiples manières d’aborder la mort. Il y a aussi de multiples manières de lire le nouveau roman de Philippe Claudel. Pour certains, ce texte traite d’abord des défunts, du chagrin et du deuil, pour d’autres il éclaire les incroyables capacités des humains à surmonter le chagrin, à transcender la mort. Boris Cyrulnik y verra par exemple une nouvelle illustration de la résilience. Et je pense qu’il aura raison, à l’image de la belle idée qui donne son titre à l’ouvrage.
L'arbre du pays Toraja sert de sépulture aux enfants de l’île de Sulawesi, en Indonésie. Les petits cadavres sont déposés dans les anfractuosités de son tronc lors de cérémonies qui rassemblent tous les membres de la communauté. « Au fil des ans, lentement, la chair de l'arbre se referme, gardant le corps de l'enfant dans son grand corps à lui, sous son écorce ressoudée. Alors peu à peu commence le voyage qui le fait monter vers les cieux, au rythme patient de la naissance de l’arbre. »
Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une tombe, mais d’une vie qui continue à se développer, dont l’arbre se nourrit. S’il porte les stigmates de ce «cadeau», il fait surtout office de «grand cicatriseur». Un chemin qui est en quelque sorte une proposition de guérison pour les parents. Une démonstration que la vie continue…
Pour l’écrivain-cinéaste qui perd Eugène, son producteur, ami et aussi inspirateur, le choc est rude. Car ce décès fait suite à l’annonce d’un cancer, une année plus tôt, et du combat contre ce destin qui devient peu à peu inexorable. Quelle injustice pour cet homme qui « avait le talent de me mettre sur des pistes, par livres interposés, quand je travaillais sur un sujet, même si les récits et romans qu’il m’indiquait ne me paraissaient pas, après la première lecture, avoir de rapports directs avec le film que j’essayais d’écrire. »
Avant cela, il y avait eu la mort d’Agathe. « Un enfant mort-né. Mort-né, c’est une des formules les plus abruptes de la langue. Définitive. Là encore affaire de distance. Une distance infiniment petite, dont la petitesse signe l’absence puisque les deux extrêmes, naissance, mort, se confondent. Naître mort. Le plus effroyable des oxymores. » Le couple qu’il formait avec Florence n’a pas résisté à l’épreuve, même s’ils sont restés très proches. En ira-t-il autrement avant la voisine du 6e qu’il observe depuis sa table de travail ? La jeune Elena sera-t-elle autre chose qu’un dérivatif ?
Car les douloureuses et difficiles questions restent en suspens : comment surmonter sa peine, comment rendre hommage au disparu et surtout comment continuer à vivre.
Les superbes pages que nous propose Philippe Claudel apportent en quelque sorte la plus belle des réponses à ses interrogations.
À partir de leurs expériences, de leurs souvenirs communs, il imagine une voie qui lui permet d’associer l’absent à son projet, de recomposer un univers. Comme le ferait un réalisateur, un écrivain, un musicien. Aussi n’est-il pas étonnant que l’on croise au fil des pages quelques uns de ces créateurs, de Borges aux Rolling Stones.
Au fil du récit, on comprend qu’Eugène vient prendre place aux côtés d’autres disparus qui, à des degrés divers, accompagnent l’auteur dans sa quête, inspirent son œuvre – «Nous autres vivants sommes emplis par les rumeurs de nos fantômes». À l’image des enfants de l’arbre du pays Toraja, ces disparus continuent de croître avec lui.
Si le récit est très libre dans sa forme, cette suite de réflexions conduit avec beaucoup de poésie et de finesse à cette magnifique leçon qui nous apprend qu’après sur-vivre, on peut re-vivre.
http://urlz.fr/3bKW
Un rendez-vous manqué au pied de l'arbre 5 étoiles

En découvrant cette magnifique tradition à L'arbre avec la poésie et l’imagination sur le thème du deuil on pense que Philippe Claudel allait nous entraîner dans une belle histoire.

Cependant on déchante assez vite et on s’ennuie dans cette pseudo ou possible autobiographie qui évoque la vie de l’auteur quinquagénaire, son grand ami Eugène atteint d’un cancer, son divorce, sa mère grabataire ayant perdu contact avec la conscience et enfin sa jeune maîtresse dont la différence d’âge lui rappelle sa mortalité.

Un roman trop intériorisé pour pouvoir séduire. On est donc loin des trois grands romans écrits par l’auteur écrits entre 2003 et 2007, soit « Les Ames grises », « Le rapport de Brodeck » et « La petite fille de Monsieur Linh ».

Pacmann - Tamise - 59 ans - 29 janvier 2018


"Le corps inamical" 8 étoiles

Après avoir assisté aux rites funéraires des Toraja, peuple d'une île indonésienne, l'auteur s'interroge sur notre rapport avec la mort, tellement éloigné de celui des Toraja.
Particulièrement devant "ces cavités sculptées à même le tronc de l'arbre" qui servent de sépulture aux corps des jeunes enfants.

L'occasion de s'interroger mais aussi de se souvenir de "ses" morts. Eugène, son meilleur ami, emporté par un cancer, Gary, son compagnon d'escalade, électrocuté sur la même cordée.
"Nous autres vivants sommes emplis par les rumeurs de nos fantômes. Notre chair et la matière de notre âme résultent de combinaisons moléculaires et du tissage complexe de mots, d'images, de sensations, d'instants, d'odeurs, de scènes liés à celles et ceux que notre existence nous a fait côtoyer de façon passagère ou durable. Poursuivre sa vie quand autour de soi s'effacent les figures et les présences revient à redéfinir constamment un ordre que le chaos de la mort bouleverse à chaque phase du jeu. Vivre en quelque sorte, c'est savoir survivre et recomposer."

Et puis, il y aussi le moment où l'on pense à sa propre fin, quand arrive l'age où l'on découvre que le corps "ne suit" pas. Qu'il nous lâche, qu'il nous montre notre éphémère, nos limites.
"Vous entrez dans la phase que je nomme "le corps inamical". Pendant des années vous avez vécu avec lui, en lui, en parfaite osmose, dans un équilibre qui vous satisfaisait….. vous avez senti peu à peu sa présence, je veux dire sa marque, son usure, son défaut à vous suivre."
Les marques du temps que l'on découvre sur le visage des autres en découvrant que l'on a probablement les mêmes, sans que l'on s'en soit aperçu tellement la progression est insidieuse.

Si j'ai dû m'y reprendre à deux fois pour lire ce livre, c'est que le sujet était douloureux. Je craignais une "liste de mes morts".
Mais la magie, comme à chaque fois, a rapidement opéré grâce au talent de l'auteur.
Livrant ses doutes, mais aussi les bonheurs qu'il a vécus, ceux qu'il vit, comme son amour avec sa "lumineuse" Eléna, son parcours avec sa fidèle Florence, son ex-femme, sa belle histoire d'amitié avec Eugène.
Des mots qui font écho, des mots qui touchent, qui émeuvent, des mots d'espoir aussi, avec un livre qui commence avec les petits corps des enfants et termine avec la promesse d'une nouvelle vie.

Et cette phrase que je fais mienne :
"J'ai lu… que la cinquantaine est la vieillesse de la jeunesse, et que la soixantaine est la jeunesse de la vieillesse."

Marvic - Normandie - 66 ans - 21 mai 2017


Réflexion sur la vie et la mort 8 étoiles

En 2013, Philippe Claudel a perdu un ami éditeur des suites d’une grave maladie. Ce drame va l’amener à se poser des questions sur la mort mais aussi sur lui-même. Pour se faire, il va imaginer le destin d’un double romanesque qui va lui permettre d’approfondir cette expérience de vie personnelle.

Dans ce court roman, il utilise la métaphore de l’arbre du pays Toraja, pour raconter les séquelles d’une disparition. Pendant qu’en Indonésie, le cadavre des enfants continue de grandir en même temps que l’arbre dans lequel il est posé, dans notre monde, la vie se perpétue elle aussi après la mort d’un proche. Le souvenir du passé reste alors persistant et joue encore un rôle dans le monde des vivants.

A travers ce texte existentiel, le narrateur semble s’interroger sur son âge et sur son rapport au temps. En vieillissant, il se sent plus proche de la mort. Il veut se poser et méditer sur cette fin inéluctable et sur ce que l’on fait du temps qui nous reste.

C’est un roman d’une beauté lumineuse. Il s’en dégage une humanité personnelle qui touche le lecteur au cœur. Je pense qu’il faut tout de même avoir un peu vécu, avoir de la maturité, pour comprendre ces sentiments et appréhender au mieux les tourments qu’a voulu analyser Philippe Claudel. C’est donc une réflexion presque philosophique sur notre condition d’être humain et sur la trace que laisse les gens, non pas sur la terre, mais dans l’existence des autres.
Ma première approche de l’œuvre de Philippe Claudel a été une réussite. J’ai découvert à la fois un livre tendre, qui a su m’émouvoir sans tomber dans le pathétique et un livre plein de sagesse, qui a su me faire réfléchir sans être pompeux. J’ai rencontré un écrivain débordant d’humanité dont je lirai avec plaisir les autres écrits.

Killing79 - Chamalieres - 45 ans - 3 mars 2017


Pérégrinations autour de la finitude des choses 9 étoiles

Le narrateur, cinéaste de son état, réfléchit à la vie qui fuit lentement … Il se remémore la fin de son meilleur ami, confronté au cancer ; il revit également la fin de son mariage, évoque aussi une visite à sa maman dont il réalise que la fin est désormais toute proche.

Et voilà qu’il entame une aventure amoureuse avec une femme dont la relative jeunesse ne lui assure sans doute pas une relation durable, laquelle s’étiolera peut-être comme tout le reste.

Toujours est-il que, plus qu’un roman, cet ouvrage nous offre une réflexion philosophique sur la finitude des choses, exprimée avec le talent et la sensibilité poignante d’un Philippe Claudel à la force jamais démentie.

Ori - Kraainem - 89 ans - 14 février 2017


Réflexions d'un homme mûr 7 étoiles

Philippe Claudel nous fait part de ses états d'âme face à la mort et à la finitude de l'homme qui se sent vieillir. Un cinéaste raconte la fin de vie de son meilleur ami, Eugène, qui se meurt d'un cancer et il cherche à comprendre les mécanismes qui déclenchent la maladie, pour donner du sens. Pendant ce temps, il change d'histoire d'amour : il divorce de sa femme Florence (sans évoquer le sujet, effacé !) pour se lancer dans une aventure avec sa voisine d'en face, beaucoup plus jeune que lui (de nouveau, sans expliquer comment l'histoire et les sentiments démarrent, à part une fugace rencontre à peine esquissée). Le narrateur ressent une certaine illégitimité à être aimé d'une femme jeune, tout en éprouvant de la nostalgie pour sa vie avec son ex-femme. Ce frein l'empêche de vivre pleinement le moment présent.
Ce livre aborde le thème du rapport au corps et au vieillissement.
Le ton n'est pas très joyeux, manque un peu d'espérance. Ce roman relève plus de l'essai car il ne se passe pas grand-chose dans l'histoire et il contient plus de réflexions que d'événements.

Pascale Ew. - - 57 ans - 7 mai 2016


La vie, la mort,la fuite du temps... 8 étoiles

C'est la découverte de l'arbre du pays Toraja (voir la critique principale, très claire) qui incite le narrateur (certainement Ph. Claudel lui-même) à réfléchir sur la mort : comment l'aborder, comment survivre à celle de ses proches ? Ces belles pages, poétiques, racontent la mort de son plus cher ami, sa vie avec ses deux remarquables femmes, des voyages, des rencontres (Milan Kundera, Michel Piccoli...).

Nous le suivons avec intérêt et plaisir, mais, reconnaissons qu'il ne donne pas vraiment de recette pour apprivoiser la mort qui le hante tant.

Tanneguy - Paris - 85 ans - 13 avril 2016