Neuroleptie
de Christophe Esnault

critiqué par Débézed, le 10 février 2016
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Médecine poème
« Pas de place pour le lecteur »

Eh bien ça aurait été drôlement dommage que ce long poème reste dissimulé sous une haute pile de livres à lire car toute la douleur qu’il comporte aurait à jamais resté tue. Pour qu’un livre existe, il faut qu’il soit lu, il en est de même pour la poésie, et pour qu’une douleur soit ressentie, il faut qu’elle soit partagée.

Dans cette poésie l’auteur raconte sa longue lutte contre son mal, son mal être, sa dépendance aux neuroleptiques.

« Pas un jour sans neuroleptique
Un chien éventré qui sourit
Les ragondins intérieurs cousus
Hurlement de dément muselé »

Si le lecteur ne l’avait pas lu comment le poète aurait-il pu utiliser l’écriture comme une thérapie, une légitime défense contre son mal être, contre son traitement.

« Ecrire en légitime défense
L’hostilité est prénatale
La horde amplifie l’agression
Verre pilé dans la confiture »

« Lutter jusque dans l’écriture,
« Ne pas lâcher les mots poisons »

Partager l’angoisse récurrente avec le lecteur qui a peut-être lui aussi une ordonnance à renouveler périodiquement pour ne pas dévisser dans la spirale de son mal.

« La magie de l’ordonnance
Renouvelable deux fois »

Partager la peur du manque, le risque de lâcher prise :

Tu l’oublies deux jours de suite
Immédiateté du désir de fuir »

Transmettre son désir de vie, insuffler sa force au lecteur,

« Vivre sans penser à se tuer »
« Des projets littéraires à défendre »
« Les luttes sont devenues individuelles »
« Etre vivant est un truc incroyable »
« Les ressources de ta force vitale
T’étonnent »

Ce long poème sonne avec une grande justesse tant dans ce qu’il exprime que de la façon dont il l’exprime, quarante-huit quatrains pour décrire la maladie dont est affecté le poète, sa dépendance aux médicaments, son angoisse, ses frayeurs, sa lutte, son courage, son espoir et sa volonté de s’en sortir. Non poète tu n’es pas seul et tes vers seront peut-être le meilleur psychotrope pour d’autres qui connaissent le même calvaire avec peut-être moins d’espoir.

« Le club n’est pas si restreint
D’autres suivent le même traitement ».