La Résurrection de Mozart
de Nina Nikolaevna Berberova

critiqué par Jules, le 8 février 2001
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
Une petite histoire
La guerre 40 a éclaté et la percée allemande passe à nouveau par Sedan.
A l’extérieur de Paris, plusieurs personnes sont installées autour d'une table. Il y a là des Russes et des Français. Il fait chaud, ils parlent et profitent des derniers beaux moments de la journée. Quelqu'un parle de résurrection et la conversation tourne soudain sur le problème que représenterait le choix de la personne à faire revenir en ce monde. Quelqu'un parle de Napoléon, un autre de Tolstoï. Pourquoi pas César ?. Maria Leonidovna pense à Mozart. Oui ! Si elle avait le choix ce serait Mozart. C’est ce qu’il y a de plus beau se dit-elle, un concert de Mozart. Paris est bombardé, des soldats viennent loger chez elle, puis des réfugiés.
Son petit monde sera bousculé, car bientôt commencera l'exode. Une petite histoire, bien écrite. Ce qui peut se passer dans la tête de quelqu'un alors que les choses basculent autour de lui.
Créer une atmosphère 9 étoiles

C'est un tout petit livre, une centaine de pages imprimées en gros caractères avec un double interligne, une grande nouvelle. En peu de mots, donc, se construit une véritable atmosphère. Des émigrés russes passent ensemble une soirée d'été près de Paris, la douceur de l'air réveille des souvenirs et contraste avec l'imminence de l'irruption de la guerre toute proche. On joue à ressusciter des personnages du passé. Pour Maria, il ne peut s'agir que de Mozart, symbole de paix quand menace la guerre. Quelques jours plus tard arrivent les premiers réfugiés et, parmi eux, un homme hagard et fatigué, musicien. Mozart? quand se profile l'exode et son cortège de malheurs.
L'art de Berberova est dans la suggestion, peu est dit, le lecteur imagine ce qu'il veut et ce qu'il sait. Un moment magique.

Falgo - Lentilly - 85 ans - 17 mars 2014


La débâcle de 1940 vécue par les émigrés russes 8 étoiles

Nina Berberova nous conte une histoire dans l'Histoire, un groupe de Russes émigrés à Paris depuis une vingtaine d'années et installés dans la société française doivent envisager une nouvelle fuite devant l'invasion allemande. Comment réagissent-ils ? L'auteur nous le suggère par des touches subtiles en rapportant en particulier leurs conversations originales et leur comportement.

Il s'agit vraisemblablement d'un témoignage personnel de l'auteur que nous devrons rapprocher des nombreuses relations de cette période dramatique de notre Histoire.

Tanneguy - Paris - 85 ans - 5 novembre 2011


Quelle joie ce seraitl 9 étoiles

Bien qu'elle ne fasse à la capitale des Ardennes françaises qu'une très courte allusion, c'est bien à Sedan que le roman de Nina Berberova commence. A Sedan, où l'histoire se répète invariablement. En Mai 1940, le général Guderian, à l'instar de Von Molkte soixante dix ans plus tôt, permet de concrétiser sur le terrain les ambitions hégémoniques d'une Allemagne toujours aussi conquérante. Un mois plus tard, la mobilité de ses panzers ayant eu raison du statisme de la défense Maginot, sa percée gagnante cumulée à d'autres victoires va permettre à Hitler de réaliser l'un des rêves qui lui tient le plus à coeur, un rêve vieux de plus de vingt ans, celui d'humilier Paris. Alors que ses troupes jettent sur les routes toutes celles et ceux qui n'ont d'autre choix que de les fuir et sont bien prêtes à lui offrir ce qui n'est finalement qu'une basse revanche, cinq hommes et quatre femmes, réunis dans un pavillon situé à une cinquantaine de kilomètres de la ligne de front et pour la plupart immigrés russes, tentent de vivre au mieux des derniers instants de paix que leur accorde une armée malgré sa déroute.

Instants de paix!, encore que, comment être en paix, lorsque le temps ne se décompte plus aux tic-tac des horloges mais désormais au bruit des bombes qui se rapprochent ? Et ce, même si la table autour de laquelle ils se sont rassemblés ne manque de rien, même si la douceur de ce début d'été 1940 la leur rappelle ?. Et comment ces neuf-là ne pourraient ils pas avoir leurs esprits déjà entièrement absorbés par cette guerre, par les sombres lendemains qu'elle promet, sachant que pour les avoir déjà vécus, il va leur falloir beaucoup espérer pour escompter y survivre ? L'espoir et l'incroyable courage qu'il apporte ne se transporte pas dans des valises!, ni ne se stocke dans des armoires!. Cesser d'espérer, c'est cesser de vivre, depuis leur départ forcé de Russie, la citation de Dostoïeski, ils ne la connaissent que trop ...

En attendant, parce que même les sursis doivent être tués, chacun des invités accepte de participer au petit jeu que leur propose Maria Leonidovna, la maîtresse de maison. « Qui aimeriez vous ressusciter? » leur demande-t-elle. Bien que la réponse à cette question ne soit pas facile à donner, posez-la vous pour vous en convaincre!, c'est avec empressement et une certaine jubilation que tous vont lui répondre... La folle espérance des gens placés au bord d'un gouffre, un pied sur le rebord, l'autre déjà dans le vide, se raccrocher à n'importe quoi, même à l'impossible... Enfin peut-être...
Peut-être aussi, parce qu'arrivés au terme d'une vie, parce qu'ils vivent ces premiers instants de guerre comme une petite mort, ils expriment à travers leur réponse quelque chose qui ressemble à une dernière volonté, quand ce n'est pas le souhait de toute une vie, la jouissance de la dernière cigarette du condamné en quelque sorte... Ainsi Manioura Krein aimerait pouvoir bénéficier de la conversation brillante d'un Pouchkine, Fédor Egorovitch, son mari, souhaiterait jeter à la face de Tolstoï certaines de ses déclarations que l'épreuve du temps a rendues caduques et qu'il a sur le coeur depuis bien trop longtemps, et Madeleine, la pauvre Madeleine qui pleure pour n'avoir pas su trouver de mari, comme elle aimerait qu'il apparaisse dans un claquement de doigts, le croisement improbable entre Schiller et Hegel qu'elle a toujours rêvé!

Bien évidemment, Maria Leonidovna, n'échappe pas au jeu qu'elle a elle-même initié, et lorsque vient son tour de répondre, elle cite Mozart.
« Ô Mozart, immortel Mozart, comme elles sont nombreuses, comme elles sont innombrables, les visions que tu as laissées dans notre âme d'une vie meilleure, plus heureuse!», ainsi s'exprimait Franz Schubert pour décrire l'effet que la musique du petit génie de Salzbourg produisait sur lui, ainsi pourrait également s'exprimer Maria Leonidovna pour traduire le fond de sa pensée, expliquer la motivation de son choix à ses invités. Car pour elle, il ne s'agit nullement de faire allusion à l'homme, « aucune concupiscence ne se mêle à mon désir, j'ai passé l'âge! » dit elle, et l'on sait aussi que Mozart pouvait détester jusqu'à la frénésie, ni même au musicien, car même si comme le dit fort joliment la pianiste Anne Queffélec, « le lait de la tendresse humaine par delà le bruit et la fureur découle de sa musique», on est bien en droit de ne pas y adhérer. Non, Maria Leonidovna, quand elle cite Mozart, pense plutôt au trait d'union qu'il est et sera toujours entre les hommes parce que connu et reconnu tout aussi bien par le postier, le jardinier, l'épicier, les voisins et le chef de gare. « ils viendraient tous pour l'écouter!» se plaît elle à dire.
Bien évidemment elle pense aussi, et sûrement bien plus encore, au symbole divin que le bonhomme porte depuis sa plus tendre enfance. Car comment peut-elle échapper au cheminement d'idées suivant : Mozart - Mozart, tu es un Dieu - Dieu, la foi, l'espoir, sachant que bientôt projetée dans une guerre, sa force de croire en tout cela sera la condition sine qua non de sa survie ?

La force d'y croire...
Dans les jours suivants, Maria Leonidovna, à la fois spectatrice de l'exode qui se met en place et bientôt elle-même va y prendre part, va recevoir à plusieurs reprises la visite de celui dont le résultat des travaux, par le génie qu'il comportait, pouvait se monter à la face de Dieu. Autant de songes qui seront en fait autant d'appels à Dieu. Car pour elle, recevoir un signe de Sa part, ce serait trouver la force qui lui manque, l'espoir qui pourrait lui permettre de surmonter les dures épreuves à venir, cet espoir avec lequel naît et renaît le courage, que parfois, Lui seul semble pouvoir donner...

Aussi, désormais enfermée dans cette attente, et parce qu'elle en espère une issue favorable, elle finira par concrétiser ce qui en est l'objet. Elle imaginera dans le réfugié qu'elle va bientôt héberger, Celui, par le biais duquel elle attend impatiemment un signe. Malheureusement, sa déception sera immense, car la triste mine de ce messager n'aura rien de celle d'un Messie venu annoncer la bonne nouvelle! Pire peut être, son mutisme et son errance semblera dire à Maria Leonidovna que dans un monde que le Mal domine, Dieu semble avoir ni parole, ni place.

« Dans le ciel, avec un bruit inconnu jusque-là, ressemblant à un hurlement, planaient deux bombardiers allemands ». Peut-être est-ce là, dans la peur que provoquera chez elle, les sirènes des deux Stukas qui pilonneront la colonne dans laquelle elle se trouvera lorsqu'elle même se décidera à quitter Paris, seule réponse que le Ciel daignera lui faire!, que Maria Leonidovna trouvera le courage qui lui fait défaut et qu'elle espérait tant trouver ailleurs...

HereInMyHead - - 63 ans - 4 juin 2005


La guerre en toile de fond 9 étoiles

A nouveau un récit de Nina Berberova dans lequel ses personnages semblent résignés, voire fatalistes, face à la guerre, à la misère ou à un destin pas toujours rose.
Plus encore que dans ses autres courts romans, Nina Berberova s'attarde ici à décrire le début de la seconde guerre, les bombardements sur Paris, l'exode, les villageois apeurés, les soldats qui réquisitionnent les maisons. Et l'héroïne, Maria Leonidovna, imperturbable, partageant ses pensées avec Mozart, s'occupant du jeune attardé Kirioucha, hébergeant un inconnu dont elle pleurera le départ, assistant impuissante mais étonnamment calme au lancement d'un conflit meurtrier. Avant de prendre la route, de choisir l'exil, de partir vers l'inconnu.

Ce roman, c'est Nina Berberova entre les lignes. Ne raconte-t-elle pas sa propre vie, ses journées de peur et de solitude quand elle vivait angoissée, dans les Yvelines, en juin 1940? Tout comme Maria Leonidovna, Nina Berberova a ouvert ses portes à ses amis en quête d'exil. Et tous ensemble, comme les héros de ses romans, Nina et les siens ont affecté de ne rien craindre, se sont montrés forts, voire indifférents à l'Histoire qui, une fois de plus, déroulait son plus laid tapis sous leurs pas.
Espérer la résurrection de Mozart, n'est-ce pas fuir cette triste réalité et placer ses espoirs de vie et de joie dans un autre monde, pas encore exploré, à venir, espéré?

Saluons ici le talent de l'auteur pour décrire avec autant de justesse les ambiances qui ont entouré ces journées de juin 1940, la tension mêlée à l'attentisme, la peur alliée à l'espoir, le soleil brûlant la peau pendant que les premières bombes commençaient à tomber... Du vécu, aucun doute.

Sahkti - Genève - 50 ans - 31 août 2004