Géronimo a mal au dos
de Guy Goffette

critiqué par Myrco, le 20 janvier 2016
(village de l'Orne - 75 ans)


La note:  étoiles
Blessures d'enfance
Simon, le fils aîné, revient dans le petit village rural de sa jeunesse, où vit toujours toute sa famille, frères et sœur, pour l'enterrement de son père.
Devant le cercueil, dans le salon aménagé en chambre mortuaire où défilent les connaissances, ce salon que son père avait voulu "chic" et que l'on n'ouvrait que pour les grandes occasions alors que la famille se serrait à longueur d'année dans la cuisine, Simon se souvient de son enfance, de ce fossé d'incompréhension entre son père et lui, ce père autoritaire et craint, travailleur manuel un peu frustre, n'admettant que la valeur travail et n'appliquant pour seule méthode d'éducation que la sanction de la gifle, de ce foyer sans chaleur où l'absence de générosité dans les rapports humains contrastait avec une tradition religieuse contraignante, de cet univers étriqué, mesquin qu'il a fui dès qu'il a pu pour mener sa vie, assoiffé de tendresse et de liberté.
Dans une chronologie bousculée, ses souvenirs lui remontent à la gorge, anecdotes marquantes, jugements sans appel de l'enfant qu'il a été, rancoeurs, frustrations de ne pas se sentir aimé pour ce que l'on est, manque de démonstrations physiques d'affection, blessures incrustées dans la mémoire et la sensibilité, de celles qui vous fondent et qu'on ne parvient pas à oublier. Qu'il est lourd "ce gros sac de larmes et de remords qui fend l'épaule et qui ne crève pas? Qui ne peut pas crever: trop de jours, trop de nuits ont passé sur des paroles noires, des gestes insensés, que l'éloignement, la solitude ont changé en pierre, et la toile du sac, à son tour a durci".

Peu à peu, le récit fait apparaître le regard de l'adulte, à la faveur d'autres épisodes relatés, souvent plus tardifs, un regard qui découvre d'autres angles, nuance, interroge, se fait plus compréhensif, plus compassionnel, plus tendre pour ce père "perdu dans ses mots, ses maux", barricadé derrière sa façon d'être, celle de son époque, ne sachant pas exprimer l'amour qu'il portait néanmoins en lui, un regard un peu coupable aussi pour ces parents vivant dans l'attente du retour du fils prodigue, aveugle, indifférent, trop occupé ailleurs.

Et le regret se fait d'autant plus grand, l'amertume d'autant plus forte devant ce qui aurait pu être et n'a pas été.

Rien de très original donc mais un récit émouvant, qui se veut à la fois léger, parfois sarcastique et teinté d'humour, mais se révèle aussi et surtout sensible et douloureux, où la fiction ne fait pas illusion sur le caractère intime d'une souffrance qui pourra trouver écho chez certains d'entre nous.
Face à face 8 étoiles

Simon, proche de la soixantaine, revient dans la maison de son enfance, pour l'inhumation de son père. Ce père qu'il a craint toute son enfance ; ce père qu'il a fui depuis tant d'années.
Face au cercueil qu'il a du mal à affronter, il se souvient de cet homme irascible et dur ; avare de mots, de conversations ou d'explications, avare de tendresse, de marques d'affection.
"Qu'est-ce qu'une maison où l'on ne rit pas, me dis-je, une maison où l'on ne chante pas, où l'on ne s'embrasse pas, pu alors si distraitement, à de si rares occasions que ça compte pour du beurre?qu'est-ce qu'une maison où l'on ne dit jamais mon enfant, mon soleil, mon petit cœur, je t'aime ; qu'est-ce qu'une maison où on ne lit pas, à l'exception du journal et du papier peint, jamais un vrai livre ? Qu'est-ce ? Un écrin vide, un parapluie quand il pleut, un brasero quand il fait froid, une cantine quand on a faim, et la cantinière vous rabroue si son unique menu vous déplaît ; un lieu clos où les murs sont seulement des murs auxquels on peut se cogner ?"

Il revisite des scènes de son enfance, scènes de souffrance, d'incompréhensions, au regard du jeune enfant qu'il était, et les analyse du haut de sa soixantaine, essayant de comprendre le comportement du patriarche, confrontant son passé avec les souvenirs de ses frère et sœur, des collègues ou voisins.
"La douleur qu'on n'attendait pas, qui vous frappe comme un coup de poing dans le bas du ventre. Douleur innommable, dépit, jalousie, sentiment d’abandon, et qui irradie, qui brûle. Et puis, là dessus, une grande envie de pleurs comme on n'en fait plus, envie soudaine de petits mots doux, de petites idioties pour repousser loin de soi la lame des regrets, ce vieux couteau qui ne cesse de tourner dans la plaie."

Surprise à la découverte du thème, que le titre ne laissait pas prévoir, j'ai été touchée par cette enfance où "Les enfants sont faits pour apprendre et pour obéir" ; par les non-dits des relations humaines, particulièrement à une époque (qui est la mienne ) où on taisait les sentiments entre parents et enfants.
Touchée aussi de retrouver les appellations désuètes de pépère et mémère que j'utilisais et qui semblent si démodés.
Et touchée par ce même passage que les lecteurs précédents.

Marvic - Normandie - 66 ans - 21 juin 2016


Cri du coeur 8 étoiles

Comment dire "Je t'aime" à un père intransigeant, sévère, moraliste et avare de signes extérieurs d'affection ?
C'est ce que fait Simon, au décès de Géronimo, ce père qu'il a subi, puis fui, qu'il n'aura jamais connu vraiment qu'avec son regard d'enfant injustement blâmé et d'adolescent rebelle.
Pourtant, il en a vu quelques fois, de l'émotion, dans ce regard paternel, le château-fort sans cesse reconstruit pour la Saint-Nicolas, ou les larmes versées à l'anniversaire de mariage. Mais pour ce grand enfant, l'aîné indomptable, c'était trop peu, et le ressentiment n'en est que plus vif, alors qu'il veille auprès de son patriarche mort.

Simon a beau faire, dans ces circonstances, il se repasse le film de sa vie, les premières années, et cherche à comprendre le pourquoi des choses. L'éloignement qu'il a choisi et qu'il assume était pour lui un instinct de survie, un sursaut de liberté, une bouffée d'oxygène. Aussi il subit le regard de la fratrie qui, sans le dire, lui reprochent d'avoir été si peu présent.

C'est une déclaration d'amour que Simon fait à son père, trop tardive hélas, mais quand même. Un cri du coeur pour celui qu'il n'a jamais su comprendre, et qui ne l'a jamais compris. Le tout avec pudeur, avec une formule qui évite le règlement de compte en bonne et due forme, parce que ce n'est plus l'heure, qu'il est trop tard pour ce faire, et que Géronimo repose en paix.

Nathafi - SAINT-SOUPLET - 57 ans - 29 mai 2016


"Qu'est-ce qu'une maison où l'on ne rit pas... ?" 6 étoiles

Simon est dans le grand salon de la maison dans laquelle il a grandi, venu se recueillir auprès de l'homme qui y repose entre quatre planches, son père. Au milieu du va et vient des proches venus rendre un dernier hommage, il se rappelle de ce père violent et austère, mais juste aussi.

La lecture de Géronimo a mal au dos me laisse une impression assez mitigée. Outre que le sujet n'était pas très heureux au vu de mon actualité, j'ai trouvé le livre... sans plus. Bien écrit, avec quelques jolis passages, mais sans plus. Certains passages qui sonnent très vrais, mais sans plus. Ce livre m'a donné le sentiment d'une sorte de revanche, l'occasion pour un homme de dire ses "quatre vérités" à un autre, celles qu'on ne dit jamais, parce qu'on n'en a jamais l'occasion (Goffette parle plutôt bien de ces quatre vérités-là), comme une cure cathartique, un besoin post-mortem de pouvoir enfin cracher des sentiments, afin de pouvoir, peut-être, passer à autre chose.
Le passage du "cas particulier" vers "l'universel" ne s'est pas fait pour moi, et je suis restée à regarder Simon se débattre avec ses sentiments d'enfant. Et c'est un peu là que le bât blesse, à mon avis. Simon reste sur ses sentiments d'enfance, d'injustice notamment, alors que les acteurs de l'extérieur (la sœur, les les ouvriers avec lesquels il travaillait...) apportent "l'hommage", et ajoutent à la vision de l'homme violent et impitoyable de Simon d'autres, que l'on peut respecter : la justice, le respect et l'obéissance vis-à-vis de ses propres parents...
Il y a de jolis passages, dans ce livre, lorsque Simon travaille un temps avec son père par exemple, certaines "fins" de chapitre, qui ressemblent à des sentences poétiques (en même temps, Guy Goffette est poète). Je me dis juste que c'est dommage, à 60 ans, de ressentir encore si fortement les désillusions de l'enfance. Que c'est dommage également de n'avoir pas su passer outre, de ne pas avoir compris qu'aimer et haïr ne sont que les revers d'une même pièce, une sorte de passage obligé pour avancer sur le chemin de sa vie, pour gagner un petit peu de sagesse dans son rapport au monde et aux autres.
Mais bon, comme je le disais, au vu de mon actualité, le sujet de ce livre est sensible, et je n'avais peut-être pas la tête et l'ouverture nécessaire pour apprécier ce livre. Dommage !

Une liberté toute neuve, ça vous brûle les doigts comme de l'argent volé.

Qu'est-ce qu'une maison où l'on ne rit pas, me dis-je, une maison où l'on ne chante pas, où l'on ne s'embrasse pas, ou alors si distraitement, à de si rares occasions que ça compte pour du beurre ? Qu'est-ce qu'une maison où l'on ne dit jamais mon enfant, mon soleil, mon petit cœur, je t'aime ; qu'est-ce qu'une maison où on ne lit pas, à l'exception du journal et du papier peint, jamais un vrai livre ?

Qu'est-ce qui est plus lourd que le plomb ? La honte, monsieur.

Ellane92 - Boulogne-Billancourt - 49 ans - 7 mars 2016


Quand les indiens meurent … 7 étoiles

« La pièce est petite et fleurie comme une serre. On a dû sortir les meubles pour faire de la place aux visiteurs qui défilent ici sans arrêt depuis le retour du père dans ses murs, il y a deux jours.
Visites de 9 à 20 heures, précise l’avis de décès punaisé sur la porte.
Ils entrent en silence, saluent le mort, déposent leur carte sur une soucoupe en fer-blanc placée au pied du cercueil qui occupe le milieu du salon, et se rangent de chaque côté, l’air entravé, solennel et les bras croisés. »

Dès le départ, le décor est planté. Nous sommes à l’enterrement d’un « père » (son fils nous narrerait-il la chose ? Oui, banco ! Simon qu’il s’appelle, le fils) et ça ne va pas forcément être franche rigolade.
C’est Géronimo qui est mort. Mais pas le vrai ; LE Géronimo, le chef apache. Géronimo, c’est le père de Simon, un père que Simon a tout fait pour fuir une fois devenu adulte, pour fuir l’étouffement familial, la conception uniquement tournée vers le travail, l’économie (de moyens et de tendresse).
Géronimo avait mal au dos mais surtout il est mort.
Il avait mal au dos parce qu’ayant exercé sa vie durant le labeur de terrassier et ne connaissant d’autre conduite de vie que travail et … travail, il s’est bien entendu cassé le dos. Mais là il est mort et vient pour Simon le temps du remords. Le type de remords que nous pouvons tous éprouver quand, tout à coup confrontés à la disparition d’un proche, nous nous apercevons qu’irrémédiablement nous ne pourrons plus lui dire que nous l’aimons, l’avons aimé, ou tenions à lui. Trop tard, et définitif. Et pour Simon, Géronimo c’est son père quand même. Et même s’il l’a fui …
Guy Goffette va donc consacrer ce roman, qui sent furieusement le vécu, à faire remonter du passé par Simon tous les sentiments contradictoires qui l’assaillent. De courts chapitres qui correspondent à de brefs épisodes de son enfance principalement pour permettre au lecteur, par petites touches, de tenter de cerner qui était Géronimo. Mais le comprendra-t-on réellement ? Nous comprendrons qui était le Géronimo à travers « le filtre Simon ». Mais le vrai Géronimo ? S’il y en a un ?
Une écriture rigoureuse et agréable à lire. Manquant peut-être de fantaisie, mais le sujet … ? Une écriture rigoureuse donc et qui fait de ce court « Géronimo a mal au dos » une lecture qui ne traîne pas sur la table de chevet !

Tistou - - 68 ans - 23 janvier 2016