Un mâle
de Camille Lemonnier

critiqué par Cyclo, le 15 janvier 2016
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
la belle et la bête (variations)
Cachaprès, le braconnier, a toujours réussi à échapper aux gardes forestiers. Il vit comme une bête sauvage dans les bois. Jusqu’au jour où il découvre Germaine,une jeune fermière pas encore mariée, car trop difficile sur le choix de ses prétendants. Cachaprès se prend pour elle d'un amour violent, sincère, mais presque animal ; Germaine est envoûtée par la prestance de ce mâle dominateur. Elle finit par céder à un emportement irrésistible et qui a la saveur de l'interdit. Mais il faut se cacher, et à la longue, elle ne le supporte plus... et cherche à rompre. Le braconnier, jaloux, en cherchant à la revoir, va finir par se laisser prendre et mourir.
"Un mâle" est un roman exceptionnel. Il sent son naturalisme à plein nez, date d'ailleurs de 1881. Cachaprès est le prototype de l'homme des bois dont se saisira plus tard D. H. Lawrence dans son célèbre roman : fort, viril, séduisant, mais en même temps d'une nature primitive et animale. Il a tout appris de la forêt, il y habite, il y dort, elle le nourrit. Germaine, elle, est d'une ferme aisée et pourrait faire un riche mariage. Elle y songe parfois, et ça va déclencher le drame.
Il faut passer un peu, surtout dans le premier chapitre, sur les afféteries de langage de Camille Lemonnier. Ah, il l'aime sa forêt et sa nature, et il se perd dans des descriptions assez belles, mais parfois un peu inutiles et souvent alambiquées. Mais une fois l'histoire lancée, on est emporté dans cette violence toute animale, presque primitive. Les dialogues reproduisent au plus près le langage des paysans et ne dépareraient pas dans un roman prolétarien. Les différents personnages, les mœurs locales (les fameuses kermesses villageoises, les bagarres homériques, la forte alcoolisation, les marchandages pour la vente de bestiaux) sont présentés par petites touches : L'auteur a su saisir au plus près les différences de classes.
Mais "Un mâle" est avant tout un roman d'amour ancré dans une époque et un style de vie disparus, et c'est aussi à ce titre qu'il nous intéresse aujourd'hui. Comme dans "L'amant de Lady Chatterley", on sent la force impérieuse des corps, la puissance palpable du désir, le souhait d'une vie pure et violente, proche de nos instincts, que la civilisation nous fait perdre. Lemonnier est moins puritain que Zola, mais il mérite largement le détour.