Tout peut changer
de Naomi Klein

critiqué par Colen8, le 8 décembre 2015
( - 83 ans)


La note:  étoiles
Levées de boucliers pour sauver la Terre
La thèse altermondialiste est exposée dans toute sa complexité et ses multiples dimensions. Les détails ne manquent pas pour dénoncer les désastres occasionnés par les exploitations de sables bitumineux en Alberta au Canada, de pétrole dans le delta du Niger, de phosphates dans l’archipel pacifique de Nauru, les dangers de la fracturation hydraulique pour extraire les gaz de schistes et tant d’autres atteintes à l’environnement. Les centaines de milliards de dollars nécessaires au financement de la transition énergétique, les mesures de limitation à 2° de la hausse moyenne des températures comparativement à l’ère préindustrielle sont incompatibles avec le néolibéralisme défendu sur la scène mondiale par l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). En conclusion il y a nécessité d’un « plan Marshall » pour la Terre. Un plan visant à réduire l’effet de serre par les énergies renouvelables conjugué à la défense active de l’environnement serait une formidable opportunité de voir émerger un ordre mondial plus conforme au bien-être de tous les peuples.
Au moment des grands rendez-vous tels la COP21 les institutions peuvent donner l’impression de se mobiliser, de reprendre les rênes pour protéger les biens collectifs, l’eau, l’air, la terre, de s’opposer à la mainmise du secteur marchand sur la santé, l’éducation, la culture. Sauf que soumises aux lobbies et à la richesse des industries extractives (mines, pétrole, gaz naturel, charbon) qui mettent en avant croissance ou emplois elles tardent à s’engager dans une transition suffisamment rapide et contraignante, quitte à geler les réserves actuelles et potentielles de combustibles fossiles. Les riches et les puissants, les conservateurs en général prônent un laisser faire du marché, dont on voit l’incapacité à s’autoréguler. Face à eux, les anonymes se mobilisent en un gigantesque réseau, les contestations se multiplient. Ici on les nomme zadistes (partisans de zones à défendre), anonymous, indignés, ailleurs ce sont les autochtones, amérindiens notamment. Tous ils se battent à coups d’arguments juridiques, font valoir les anciens traités signés avec les puissances coloniales, revendiquent des droits à vivre dans un air pur, à boire une eau propre, à favoriser la régénération des zones contaminées.
L’avant propos en une trentaine de pages offre un excellent résumé des arguments en faveur de cette thèse, et se suffirait presque à lui-même. Plus de concision dans l’écriture aurait renforcé l’impact de ce travail approfondi de 5 ans mené par Naomi Klein, appuyée d’une armée d’assistants, de documentalistes, de journalistes, d’experts des nombreux domaines concernés, complété de 6 pages de remerciements et 30 pages de références et de notes. Elle n’est pas sûre que la technologie suffise à trouver des remèdes miracles. En exemple elle cite l’épandage de particules de dioxyde de souffre dans la stratosphère pour filtrer le rayonnement solaire. Cela relève de la fausse bonne idée car le refroidissement initial de la terre aurait l’effet inverse au final en piégeant encore plus les gaz à effet de serre dans la basse atmosphère.
Capitalisme ou climat, il faut choisir 8 étoiles

Naomi Klein est une intellectuelle et activiste bien connue des altermondialistes, auteur de livres à succès dans lesquels elle dénonce le capitalisme post-industriel et ses méfaits. Dans Tout peut changer, elle démontre l’incompatibilité entre le système économique dominant et de vraies actions de lutte contre le dérèglement climatique.

Le sous-titre original est éloquent, et il est dommage qu’il ait été mal traduit dans la version française : Capitalism vs. the climate, cela veut dire « le capitalisme contre le climat » et non pas « capitalisme et changement climatique », traduction qui donne à croire à des accommodements possibles entre les deux termes et qui renvoie à des idées comme la croissance verte, battues en brèche dans le livre.
L’idée centrale de Naomi Klein est la même que celle du pape François dans Laudato Si (Naomi Klein a d’ailleurs animé, début juillet 2015, une conférence de deux jours au Vatican sur le changement climatique qu’elle relate ici : http://newyorker.com/news/news-desk/…). Cette idée centrale, est celle-ci : tout et lié, crise écologique et crise économique et sociale, et on ne s’attaquera pas efficacement à l’une sans s’attaquer à l’autre. Or, s’attaquer à la crise économique nécessite de s’attaquer au système économique dominant, le capitalisme financier post-industriel mondialisé.

C’est un livre très documenté, l’auteur a interrogé énormément de monde, elle s’est glissée dans les séminaires des think tanks les plus Républicains (US) où on soutient encore que le dérèglement climatique est une invention communiste pour détruire l’American way of life, ses 4X4 et ses golfs 18 trous en plein désert. Elle a rencontré des représentants des pays émergents, ceux de pays émergés (mais pour combien de temps encore ?), des repentis de sociétés d’exploitation des sables bitumineux d’Alberta, qui ont fait de cette région Canadienne quelque chose qui ressemble au Mordor, des lobbyistes boliviens qui prennent de plein fouet la fonte de leurs glaciers sans y avoir contribué, etc.

Il faut lire ce livre, même s’il est parfois fastidieux. On en ressort ébranlé sinon convaincu. Il n’est pas fait que de constats désespérants, mais contient aussi des pistes de réflexion et des exemples de bonnes pratiques, telles ces réappropriations, par les citoyens, de services autrefois vendus au secteur marchand (eau, énergie). Davantage de démocratie et de proximité, la pression populaire, voilà qui peut influer sur le cours des choses. Encore une fois, dans cette analyse, elle rejoint le pape !

Guigomas - Valenciennes - 55 ans - 17 décembre 2015