Mémé (+CD)
de Philippe Torreton

critiqué par Cyclo, le 25 novembre 2015
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
Torreton l'enchanteur
Achevé la lecture roborative de "Mémé", le beau texte consacré par Philippe Torreton à sa grand-mère. Avec son bagout de comédien, il a inventé une écriture riche et variée, aussi bien faisant appel à la langue parlée qu'à la littérature, pour évoquer cette trajectoire de près de quatre-vingt-dix ans.
Il raconte ses vacances d'enfant chez sa mémé dont on sent qu'elle lui a tout appris de la vie. J'ai relevé quelques belles phrases : au moment des funérailles, "il n'est question que de la vie quand la mort nous rassemble". Pour la cérémonie religieuse, il pense que le curé a manqué son coup, car il ne connaissait pas, justement, mémé : "Si t'avais bossé le dossier, t'aurais vu une vie chrétienne mais pas de celles habillées comme leur chien qui se signent comme on se ronge les ongles et prient comme on appelle la police, mais une vie de foi en l'autre, silencieuse de mots, bavarde en preuves d'amour et en sacrifices". Il profite de la comparaison entre la vie de sa mémé (elle qui ne jetait rien) et les conditions d'aujourd'hui pour fulminer contre la société de consommation : "Je sais bien qu'à l'époque où les mémés étaient petites il n'y avait pas ces nasses à consommateurs d'aujourd'hui, tous ces collets, ces pièges à glu, ces tapettes à clients, posés en bout d'immenses parkings, il n'y avait pas la télévision comme appeau ou canard d'appel, cette machine de cerveau disponible". En bon fils d'institutrice, devenu comédien de théâtre, il rappelle que "pratiquer ou découvrir une activité artistique à l'école c'est avoir une chance d'échapper à la tyrannie de son milieu social, à la dictature de son lieu de naissance, au despotisme éclairé de la note, dernier soubresaut maurrassien de notre République". Peut-on suggérer qu'il y aurait sans doute moins de candidats au djihadisme si les instits étaient plus avancés dans ce domaine ? Enfin, il rappelle que ce n'est pas la quantité de choses qui fait le bonheur : il savait dès l'enfance que Noël n'avait pas la même signification pour lui que pour sa mémé : "Et puis tu as tellement été privée de tout, enfin privée, on est privé lorsque l'on veut quelque chose et qu'on ne peut pas l'avoir, toi tu savais d'avance que tu n'aurais rien..." Elle n'avait rien et pourtant elle ne manquait de rien, et surtout pas d'amour, elle qui pourtant, comme la mère des "Raisins de la colère", n'embrassait pas vraiment.
Ce livre est un enchantement pour les gens de mon âge, mais il devrait intéresser tout le monde.
D'autant plus qu'on peut écouter le texte lu par l'auteur dans le cd MP3 joint au livre : un autre type de régal !
Un portrait tendre et sensible 7 étoiles

« Depuis il me manque du silence, les gestes simples d'une maison pauvre, l'odeur d'une chambre humide »

Dans ce portait tendre, sensible et teinté des nostalgies de l'enfance, que Philippe Torreton brosse de sa grand-mère, c’est aussi à toute une génération rurale que le comédien rend implicitement hommage, à des gens durs à la tâche, qui étaient obligés de se contenter de peu. Il décrit aussi avec beaucoup d’humour (et un brin de désolation il faut le dire) l’évolution de nos sociétés rattrapées par la soif de consommation et de progrès, notamment à partir des années 1960.

Le livre, écrit dans une langue simple mais imagée, voire poétique, rempli d’émotion retenue, se parcourt avec bonheur. L’auteur s’y montre d’une grande humanité, pour faire revivre encore une fois sa « mémé » qui lui a tant apporté.

Fanou03 - * - 49 ans - 23 mai 2017


Sincère et émouvant 9 étoiles

Impossible de ne pas être touchée par ce récit - hommage à sa grand-mère.
Difficile de ne pas y retrouver des souvenirs communs : ces blouses portées en permanence, le "mobilier Emmaüs" qui dure toute une vie, certaines expressions "ça te passera avant que ça me reprenne", la radio allumée sur des émissions cultes, et surtout cette économie de biens, de paroles, de gestes tendres.
De la part de ces femmes qui ont connu l'angoisse de la guerre et de la résistance, qu'on n'entendra jamais se plaindre, de ces "taiseux" qui remettent les choses à leur juste valeur.
Souvenirs d'une époque qui nous obligent à relativiser nos critères actuels.

Moi qui suis de "la Normandie des riches, de l'autre côté de la Seine" comme le disait sa mémé, je peux témoigner que les grands-mères de "l'aut'côté'd'l'eau", avaient de nombreux points communs. Ma "mémère" à moi, avait toujours sa boîte à biscuits pleine pour ses petits-enfants, mettait de côté toute l'année pour que chacun puisse avoir sa pièce de 5 F à Noël, ne se plaignait jamais...
Ces grands-mères sont nos racines, c'est chez elles que l'on a passé de longues vacances, dans une liberté et une insouciance depuis longtemps oubliées, ignorant des tensions familiales.
Ces grands-mères dont le départ, en plus de la douleur et du chagrin, annonce la fin d'un monde.

Si au début du récit, le vocabulaire et les expressions poétiques un peu chargés m'ont légèrement dérangée, je les ai vite oubliés pour me plonger complètement dans ses et mes souvenirs.
Sincère et émouvant message d'amour.

Marvic - Normandie - 66 ans - 10 août 2016