Endiablade ou comment des jumeaux causèrent la mort d'un chef de bureau
de Mikhaïl Boulgakov

critiqué par Saule, le 17 février 2004
(Bruxelles - 59 ans)


La note:  étoiles
Diable !
Diable ! Que d’aventures et mésaventures le pauvre Korotkov, chef de bureau à l’institut national de fabrication des allumettes, va-t-il subir pendant trois jours complètement déments. Cependant ne comptez pas sur moi pour vous les raconter, j’en suis incapable. J’ai bien lu ce petit livre deux fois d’affilée, rien n’y fait : j’y ai perdu mon latin. Stupéfiant !

Cette nouvelle surréaliste et géniale est une critique acerbe de la bureaucratie et de l’administration dans l'ex union soviétique dans ce qu'elle a de plus démoniaque. On y trouve des directeurs de bureau omnipotents qui disparaissent dans une odeur de soufre, se dédoublent et qui se transforment en chat. Les employés sont parfois payés en allumettes (mais qui ne marchent pas) ou en vin de messe. Perdre ses papiers a des conséquences insoupçonnables (la première chose qu’on vous demande quand vous trouvez enfin le bureau où signaler la perte … vos papiers ! ).

C'est truculent et formidablement drôle. On pourra penser par moment que l’auteur abuse un peu des diableries, car en effet on s’enfonce crescendo dans le surréel, mais d’un autre côté c’est souvent l’excès qui cause la stupéfaction et ensuite le rire salutaire. Un petit aperçu, alors que le brave Korotkov aux prises avec l’administration centrale est prêt à sombrer dans la folie :

" « Il est dit dans le treizième commandement : Tu n’entreras pas chez ton prochain sans être annoncé », mâchonna le vieux en lustrine avant de s’élever dans les airs en agitant les pans de sa pèlerine. […] Il tira de sa large manche noire une liasse de feuilles blanches qui s’envolèrent de tout les côtés et allèrent se poser sur les tables comme des mouettes sur les rochers du rivage. Un brouillard flottant emplit le bureau et les fenêtres se mirent à vaciller. « Camarade le blond ! » pleura Korotkov à bout de forces, « fusille-moi sur place, mais délivre-moi un papier, n’importe lequel. Je te baiserai la main. ». Le blond se mit à enfler et à grandir dans le brouillard, ce qui ne l’empêchait pas de signer à tour des bras les feuilles du vieillard sans s’arrêter une minute et de les jeter au secrétaire que les attrapait au vol avec des gargouillements de joie ».".
Course-poursuite 9 étoiles

Voilà une nouvelle qui se lit comme passe un ouragan. Comme pour le personnage de Korotkov, le lecteur a l'impression que le plancher vacille sous ses pieds. Tout est fou, et le tourbillon de la folie ne cesse de grossir au fil des événements. Boulgakov embarque son lecteur dans une course-poursuite en avant, où paradoxalement le lecteur doit souvent revenir en arrière, pour relire, afin de s'assurer d'avoir bien compris. Car le rythme est effréné, tout se déforme et fuit devant le pauvre Korotkov. Et l'image finale contenue dans les deux dernières phrases est tout simplement magnifique, et résume à elle seule le ton proprement extraordinaire de cette nouvelle!

Perlimplim - Paris - 48 ans - 7 juin 2011


Hallucinant... 8 étoiles

J'ai moi aussi perdu pied plus j'avançais dans le récit, relisant certains passages pour essayer de ne pas me noyer mais rien n'y a fait ... Voilà une manière surréaliste de montrer le manque de transparence de cette administration tentaculaire, dont le fonctionnement opaque et subjectif est très bien rendu par les situations complétement folles.

Un auteur à découvrir ...

Féline - Binche - 46 ans - 26 juillet 2004


Un récit fou, fou, fou ! 8 étoiles

Effectivement Saule a bien rendu l’esprit de ce récit satirique en diable et proprement stupéfiant, comme il le qualifie justement. Il pourrait d'ailleurs servir d’illustration au philosophe Clément Rosset qui voit dans toute manifestation d’un double une porte ouverte sur la folie. En effet, dès qu’il y a perception de doubles, le sentiment d’identité est attaqué et tout devient possible dans l’ordre de l’irrationnel.
Dès l’instant où un employé, en l'occurrence le camarade Korotkov, l’infortuné chef de bureau du dépôt d’allumettes ( tous ses malheurs proviennent du fait qu’il s’est brûlé l’oeil avec une des allumettes reçues en guise de paiement), se met à voir son nouveau chef se dédoubler mais aussi occuper diverses fonctions au sein de la jeune (on est en 1921) mais déjà tentaculaire administration soviétique, il n’est plus maître de sa raison .
C’est aussi le signe que l’organisation est marquée de dérèglement. On pense évidemment à ces dirigeants politiques ou autres qui, une fois désavoués, réapparaissent bientôt à d’autres échelons du pouvoir - les têtes coupées (dont ce récit à la fin pullule) en un endroit resurgissent ailleurs -, et dont il semble impossible de se défaire dès lors qu’une masse de votes s’est un instant portée sur eux.
Au cours de la course finale fatale, Korotkov lit ou entend des slogans de cette sorte : « Nous prendrons note de la façon dont vous massacrez les travailleurs » ou « On attaque les gars des corporations , camarades... ».
Autre perversité de ces régimes supposés fondés sur des causes justes, humanitaires, dès lors qu’on les remet en cause ou qu’on pointe un dysfonctionnement, on est culpabilisé et accusé d’atteindre à la solidarité du groupe ou à l’esprit présidant à la cohésion sociale. Mais ces manoeuvres ne sont pas le seul fait des régimes dits socialistes. Elles sont intemporelles et universelles. Et c’est le génie de Boulgakov de les avoir aussi bien mises en lumière.

Rarement aussi un récit aura si bien porté son titre.

Kinbote - Jumet - 65 ans - 14 avril 2004


un violon sur le toit et une araignée dans le plafond... 9 étoiles

Superbe petite nouvelle sataniquement kafkaïenne de Boulgakov dont le talent n’est certes plus à démontrer… Hé oui, il est dommage qu’il n’ait pas été plus publié de son vivant, quoi que d’un autre côté cela confirme la justesse, la finesse et la pointe de sa prose russe.

Devant la magnifique critique de Saule, car, diable, il n’est pas facile de résumer un livre pareil, je ne puis que m’incliner bien bas et me joindre à lui ainsi qu’aux autres heureux ayant eu la chance de parcourir ces lignes endiablées et chanter haut et fort la louange de Boulgakov.

Deux euros pour une heure de lecture, et de la bonne, de la vraie, de la qualité… quoi, vous êtes encore ici ! Allez zou, filez à la librairie la plus proche sapristi…

Pendragon - Liernu - 54 ans - 29 février 2004


Casse-tête russe 8 étoiles

Cette courte histoire m’a plongée en plein tableau graphique d’Escher… L’œil croit comprendre ce qui se présente à lui de manière rationnelle mais plus il avance dans sa perception – sa lecture – plus il perd pied, la perspective se jouant de lui. Les longs couloirs administratifs, qu’on retrouve alors qu’on croit les avoir quittés, les personnages qui se dédoublent, se transforment en chat, tout, dans ce livre renvoie à Escher (pensons à ses « Métamorphoses »). De circonvolutions en mises en abîme, l’intellect est saisi de vertige par le talent incontestable de Boulgakov !

Saint-Germain-des-Prés - Liernu - 56 ans - 28 février 2004


Collection à deux sous ! 10 étoiles

Boulgakov, c'est incontournable ! ... Dire qu'il n'a pratiquement pas été publié de son vivant ! ... Belle critique de Saule qui m'a l'air d'en connaître un rayon côté littérature russe. Saluons aussi cette petite collection "folio 2 €" chez Gallimard... des petits bouquins très bien fait et de genre fort différent (Allez les bleus de Thierry Jonquet vaut le détour aussi)...

Merlin - Bruxelles - 60 ans - 25 février 2004


Aux fous ! 9 étoiles

Ah, excellent ce Boulgakov ! J'espère que ça va donner envie à plein de monde de le lire... moi j'adore son côté surréaliste et loufoque. C'est un sujet commun à beaucoup d'auteurs russes, l'administration. Elle doit être peuplée de fous et doit rendre dingues tous les citoyens un tant soit peu sensés !
Saule continue donc son incursion dans la littérature russe ;-) et bien ne t'arrêtes pas, grâce à tes critiques, ma liste s'allonge, s'allonge...

Folfaerie - - 56 ans - 17 février 2004