L'équation du nénuphar
de Pascale Petit

critiqué par Débézed, le 8 novembre 2015
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Film texte
« L’équation du nénuphar » en surprendra plus d’un comme il m’a moi-même surpris, mais le but de la littérature n’est-il pas de surprendre ? Je ne sais qui parviendra à résoudre cette équation exposée dans un texte en forme de discussion, comme un exercice oral sans ponctuation où les respirations sont matérialisées par la longueur des espaces comme dans un propos spontané. Les éléments importants du discours sont répétés comme dans une discussion lorsqu’un interlocuteur veut convaincre son partenaire en répétant une ou plusieurs fois, selon le degré de conviction qu’il souhaite atteindre, l’information, l’idée, l’avis … qu’il veut lui transmettre. Un texte où le verbe est primordial, un texte qui démontre l’action pas l’objectif de l’action mais le moyen d’atteindre cet objectif. Ce qui compte ce n’est pas le but à atteindre que tout le monde connait mais le moyen d’y parvenir. L’histoire n’a d’intérêt que dans l’action qu’elle nécessite. Pascale Petit réinvente ainsi, refonde même, la narration fictive, en décrivant le processus qui conduit au dénouement par une série de verbes qui matérialisent les actes. Le moyen pourtant n’est jamais certain, le doute est omniprésent, permanent, rien n’est jamais définitif, une action est toujours aléatoire chez Pascale Petit.

Moi, cette équation, je l’ai résolue en la lisant, en la regardant plutôt, comme un film, un film en noir et blanc, « on a raté le début de la couleur », et même plutôt comme le making up (quel abominable mot mais je ne connais pas son équivalent en français) d’un film en « noir et blanc et silencieux genre adieu sans amour ». Le texte commence comme l’exposé oral d’un réalisateur qui essaierait de décrire, à son chef de casting, les personnages qu’il voudrait mettre en scène. Et l’auteur décrit aussi le décor où l’action va se dérouler, « irons-nous dans cette ville ou construiras-tu un décor ? » et le film se construit sous le feu des questions du réalisateur. Le texte/image/histoire se structure autour d’une multitude de questions qui dessine la fiction que l’auteure veut montrer avec ses mots/images dans ce texte/film : « me vois-tu dans cette succession d’images » ? J’ai cru que ce documentaire construit avec des mots jetés sur la page pour créer des sensations, n’était pas seulement l’évocation de l’histoire d’un couple suggéré mais plus largement l’expression du grand film qu’est notre vie à tous.

Dans sa quête d’une nouvelle forme d’expression, Pascal Petit n’a pas égaré sa plume de poétesse, en général, je n’aime pas trop recopier de longs extraits qui souvent ne servent qu’à masquer un manque d’idées originales mais le passage qui suit est tellement poétique, originalement poétique, que je n’ai pas résisté à le partager avec vous :

« parle-moi des oiseaux et des fleurs du parallèle zéro qui fleurissent devant l’hôtel le plus cher du monde sur l’île la plus chère du monde parle-moi des souvenirs qui ne s’effacent pas encore ne me dis pas qu’ils ne sont pas plusieurs mais un seul ne me dis pas qu’on ne peut pas passer d’un visage à l’autre d’un corps à l’autre ne me dis pas qu’il n’y a pas de paysage dans la nuit dis-moi que la pierre est toujours dans ta poche dis-moi ce qu’il y a d’écrit dis-moi ce qu’il y a d’écrit au dos des images parle-moi parle-moi parle-moi dans le dos parle-moi des oiseaux parle-moi des oiseaux et de la rose de cayambe ne me dis pas qu’on ne peut pas passer d’un visage à l’autre d’un corps à l’autre »

« Il faut oublier tout peut s’oublier qui s’enfuit déjà tout peut s’oublier qui s’enfuit déjà le temps des malentendus A coups de pourquoi le cœur du bonheur ne me quitte pas ne me quitte pas ne me… »

Brel aurait pu chanter ce magnifique texte sur l’air de cette célèbre chanson qui m’est spontanément venue à l’esprit pendant que je lisais cet extrait.