Ce monde disparu
de Dennis Lehane

critiqué par Gabriel Lancaster, le 3 novembre 2015
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Ce monde disparu : Le phénomène Dennis Lehane clôt la saga de la famille Couling.
Sept ans après l'exceptionnel "Un pays à l’aube" et seulement trois après "Ils vivent la nuit" suite ayant pour cadre la Prohibition, l’écrivain de Boston est de retour pour mettre un point final à la saga du Joe Coughlin. Une histoire de rédemption qui retrace avec brio la fin d’une époque, d’un système, d’un clan au cours de la Seconde Guerre mondiale. Dans un style magnifiquement ciselé, Lehane dépeint ce monde de gangsters à la fois sombre et violent dans lequel crime, sang, passion et vengeance constituent les nouveaux ingrédients de l’American way of life.

"Ce monde disparu", se déroule en 1943 dans la ville de Tampa en Floride où Joe Coughlin, plus ou moins rangé des activités criminelles, sert de consigliere au sein du clan régi par son ami Dion Bartolo. Inconsolable depuis la mort violente de sa femme, Joe élève seul un fils qu’il voudrait préserver du milieu. Penché sur les eaux troubles de son passé, il a renoncé au pouvoir mais ses crimes le hantent et la rédemption est loin d’être gagnée.

« Tu penses qu’il te suffit de regretter tes péchés pour être quelqu’un de bien. Certains jugeraient méprisable ce genre d’illusion », lui lance un gangster. Chez Lehane, les hors-la-loi tourmentés ont la cote et il n’y a pas de héros; les bons tentent de faire simplement les moins mauvais choix dans un éventail d'options difficiles. La nature même de ce dilemme constituera un moteur pour Joe qui, naviguant avec succès entre politique et mafia dans un monde crépusculaire, tentera de conserver le peu de repères qui lui reste. Mais, tous ses efforts pour survivre seront vains et, dans une période où code d’honneur, amitié et sens de la famille se délitent, il paiera au prix fort toute une vie de péchés.

On avait laissé Lehane chez Hugo, voir Steinbeck, voici qu’on le retrouve chez Mario Puzo et les Soprano. "Ce monde disparu" est un surprenant exercice de virtuosité, multipliant lieux et intrigues complexes servi par une écriture fluide et percutante. Des personnages attachants et aux multiples facettes, un décor américain et cubain bien ajusté, une époque que l'auteur, toujours extrêmement documenté, connaît comme sa poche. Une nouvelle fois, tous les ingrédients sont donc réunis pour que la narration soit à la fois crédible et tranchante : fusillade magistralement chorégraphiée dans les rues de Ybor City, figures mythiques du clan mafieux Luciano, collusion entre politiques aveugles à la misère alentour et le dictateur Batista, jusqu’au final à couper le souffle dans la moiteur des champs de canne à sucre cubain. À la question rituelle, «Comment avez-vous travaillé pour ressentir la ville avec cette intimité», il n'était pas étonnant d'entendre Dennis Lehane déclarer «J’ai vécu en Floride par période pendant des années et, la seule ville où je me suis senti un peu chez moi, c'est Ybor City. Quand j'arrivais à Ybor City, je poussais un soupir de soulagement. ».

Ce roman n'est cependant pas qu’un récit de gangsters sous les tropiques ; c’est d'abord celui du rapport père-fils, un lien plus fort que tout pour Joe qui a renié son propre père pour choisir la mafia comme famille d’adoption. Pour que père et fils se comprennent, il faut souvent toute une vie que Joe va condenser en quelques instants. C’est l’élément clé du livre mais avant d’y parvenir, joie, trahisons, coups de théâtre et impasses jalonneront son chemin. La paternité a souvent été un thème central des livres de Lehane et l’auteur nous interroge « (…) quelle est la vraie définition de la famille ? Votre filiation ou celle que vous choisirez». A partir de cette question, le romancier nous invite à redessiner une Amérique vacillante à moment clé de sa construction.

Passé maître dans l’échantillonnage du récit, dans l’écriture de la sensation, Dennis Lehane nous sert ici un monument de plaisir qui sera une nouvelle fois porté sur grand écran. Ce monde disparu entre prochainement en production avec probablement son ami Ben Affleck à la réalisation.

Gabriel LANCASTER
Edité chez Rivages collection Thriller; excellente traduction d'Isabelle MAILLET
Coughlin - 3 7 étoiles

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la conclusion, très latino (l'action se passe en Floride), de la trilogie consacrée à Coughlin n'est pas le meilleur opus de la série, et pas un des meilleurs romans de l'auteur de "Shutter Island". Le premier tome était un peu trop long, le suivant avait la longueur idéale, celui-ci est un poil trop court (calamitas !) mais même s'il avait été plus généreux, on sent un essoufflement, Lehane a peut-être eu du mal à finir sa trilogie... Allez, c'est quand même pas mal du tout.

Bookivore - MENUCOURT - 41 ans - 28 juin 2023


Bof... 6 étoiles

Dans cette suite directe à « Ils vivent la nuit », Lehane renoue avec le personnage de Joe Coughlin, devenu conseiller pour la pègre et père monoparental. Quand on l’informe que sa tête est potentiellement mise à prix, il met tout en œuvre pour éviter que son fils ne se retrouve orphelin. Dans l’ensemble, il s’agit d’un roman assez ennuyant, bourré de clichés et essoufflé sur le plan narratif.

Alors que l’on pouvait reprocher au roman précédent d’enchaîner les péripéties à un rythme exagéré, « Ce monde disparu » étire la sauce et s’attarde longuement sur des motifs pesants, sur des images à gros traits qui nous font vite deviner la conclusion. Les personnages sont aussi stéréotypés que les dialogues. On en tire l’impression d’un épilogue qui dure aussi longtemps que l’œuvre principale sans y apporter une contribution valable.

ARL - Montréal - 38 ans - 10 juillet 2017


Bon roman, petit Lehane 8 étoiles

L’arrivée d’un nouveau Dennis Lehane, ça ne se rate pas, d’autant plus si ce nouvel opus vient finir une trilogie que j’apprécie énormément. J’avais gardé un très bon souvenir de « Ils vivent la nuit » et j’avais hâte de poursuivre les aventures de Joe Coughlin.

Dans le précédent volume, l’histoire nous narrait l’ascension de Joe dans ce milieu dangereux. Les évènements étaient rectilignes avec quelques soubresauts violents. L’intérêt du livre résidait dans l’évolution du personnage principal dans son environnement. Dans ce volume où l’on suit le déclin et la chute de ce monde qui semble révolu, l’intrigue est plus creusée et le suspense plus présent. On est tenu en haleine par le contrat qui menace la tête de notre héros.
L’univers de l’époque est une nouvelle fois parfaitement retranscrit et le milieu mafieux particulièrement réaliste. Comme d’habitude, les protagonistes sont bien travaillés. Ils sont complexes et l’auteur nous fait découvrir leurs différentes facettes. Derrière les attitudes dures et sans complaisance se cache souvent une sensibilité, qui rend ces personnages beaucoup plus humains et attachants. On comprend alors mieux leurs comportements malgré leur violence répétée et souvent dépourvue d’émotion. Et surtout Joe Coughlin s’affirme définitivement comme un personnage charismatique, qu’on adore et qu’on respecte quelle que soit la situation.

Ce genre de livre me fait penser à la série télévisée « Les Soprano ». Elle évolue dans le même milieu mais surtout on passe de tels bons moments avec ces hors-la-loi que l’on n’a pas envie que ça s’arrête. J’ai l’impression qu’on pourrait suivre leurs aventures indéfiniment.

Cependant je ressors avec un peu de déception de ce dernier tome. J’ai trouvé le livre trop court et donc pas assez traité en profondeur. Pour moi, cette histoire aurait pu être une simple partie du scénario global, mais ne se suffit pas à elle-même pour prétendre être à la hauteur des précédents.

Au final, ce roman aurait été un très bon roman de gangsters s’il avait été produit par un écrivain quelconque. Pour Dennis Lehane, c’est un livre moyen et j’en attendais plus. Mais rassurez-vous : Quand je parle de moyen pour lui, c’est déjà gage d’une qualité supérieure par rapport à la plupart des écrits de ce genre.

Killing79 - Chamalieres - 44 ans - 22 novembre 2015