La procrastination, l'art de reporter au lendemain
de John Perry

critiqué par Ellane92, le 28 octobre 2015
(Boulogne-Billancourt - 49 ans)


La note:  étoiles
un brin de complaisance
"Procrastiner, c'est remettre au lendemain ce que l'on devrait faire le jour même. La procrastination structurée est l'art de mettre à profit cette faiblesse de caractère." Voilà le programme que nous propose John Perry, professeur de philosophie de la célèbre université de Stanford en Californie, et maître consommé de la procrastination structurée. Plus exactement, il nous propose de comprendre les mécanismes en jeu dans la procrastination de façon à la contourner et à réaliser ce que l'on attend de nous ou que l'on souhaite faire. Puisque le procrastinateur ne réalise jamais ce qui est ultra prioritaire, occupé qu'il est par des activités subalternes, l'astuce consiste à reprioriser ses tâches de façon à faire ce qu'il y a faire sans avoir la pression de "l'ultra-prioritaire". Parce que d'après Perry, la procrastination serait le résultat d'un perfectionnisme fantasmé.
Ça, c'est le principe. En pratique, d'autres astuces peuvent aider les procrastineurs à se mettre en mouvement (parce que c'est le plus délicat, pour ces individus). La to-do list est la première arme à mettre en œuvre : en fractionnant ce qu'on n'arrive pas à commencer, en mettant des actions de "récompense", et procurant le plaisir de biffer au fur et à mesure toutes les actions réalisées, c'est l'alliée incontournable du procrastinateur. La musique entraînante permet aussi d’entraîner le mouvement (John Perry donne même quelques titres, histoire d'éviter que les lecteurs procrastinateurs ne passent à la recherche chronophage de titres musicaux en oubliant au passage la lecture ultra prioritaire de ce livre !).
Et puis, il y a les ennemis du procrastinateur. A leur tête trône l'ordinateur, ses possibilités de surfs infinies d'un sujet à l'autre et sa messagerie si pratique pour interrompre ses activités.
Le poste de travail est également un élément important à prendre en considération : les procrastinateurs sont organisés horizontalement, c'est-à-dire que leur univers de travail est circonscrit à ce qu'ils ont sous les yeux, contrairement à ceux dont l'organisation est verticale, qui privilégient le classement dans de jolies pochettes rangées dans des classeurs étiquetés dans les armoires. " Le fait est avéré : je suis un organisateur horizontal. J'aime que les projets sur lesquels je suis en train de travailler s'étalent devant moi, sur une surface plane, d'où ils pourront m'interpeler et me faire signe. Si je range des documents dans une chemise, ils disparaissent à tout jamais. Non que je sois incapable de les retrouver (même si cela m'est déjà arrivé), mais parce que je renonce tout simplement à les chercher. Je suis fondamentalement incapable d'ouvrir un placard pour en extraire un projet inachevé et me remettre à travailler dessus."
Le travail d'équipe est un bon moyen pour mettre le procrastinateur au travail, l'équipe fonctionnant comme un déclencheur. Bien entendu, si l'équipe se compose de procrastinateurs pires que soi…
En même temps, procrastiner a des avantages : Perry se lance dans un éloge du ne pas faire. Prendre le temps avant de commencer les choses permet de les laisser se décanter, voire de se rendre compte de leur inutilité. Sans compter qu'avec un peu de chance, un non-procrastinateur lassé d'attendre aura pris les choses en main et réalisé lui-même la tâche demandée !
Vivre avec un procrastinateur, que l'autre le soit ou pas, dans un cadre professionnel ou personnel, n'est pas une sinécure ; dans ces cas-là, Perry nous rappelle que la procrastination n'est pas une marque de mépris ou de méchanceté, et que surtout, elle est involontaire.
Enfin, le dernier chapitre de ce livre est assez curieux : le philosophe Perry recherche dans son domaine s'il n'y aurait pas justifications philosophiques à la procrastination. Ben non, en fait, il n’y en a pas !
Enfin, l'ouvrage se termine sur une bibliographie de la procrastination, des sites internet, etc… sur le sujet.


Perry le dit lui-même en conclusion : "Cet ouvrage a davantage l'ambition de réconcilier les procrastinateurs structurés avec eux-mêmes que de les réformer."
Les procrastinateurs assidus pourront trouver quelques astuces pour optimiser leur activité. Ce court ouvrage a le mérite d'être accessible, amusant et déculpabilisant. On s'amuse et on apprend. Je reste tout de même un peu sceptique sur l'absolue bienveillance et la complaisance dont fait preuve l'auteur vis-à-vis des procrastinateurs.
Ceci dit, ce livre m'a été offert par une de mes collègues et amie. Si je continue à me demander s'il n'y aurait pas un message caché derrière ce cadeau ("J'ai vu le titre, j'ai tout de suite pensé à toi", m'a-t-elle dit !!), j'ai maintenant tous les arguments en tête pour justifier le bordel de mon bureau (je gagne toujours les concours du bureau le plus mal rangé !) et lui expliquer pourquoi je n'utilise ni pochettes, ni classeur : mon organisation est horizontale. Et toc !


Ces gens-là [les organisateurs verticaux] considèrent qu'un bureau encombré de paperasse est le symptôme d'un manque d'organisation. Rien de plus faux. En voyant un étudiant gaucher se contorsionner sur sa chaise pour prendre des notes sur ces maudites tablettes, on n'en déduira pas qu'il a des problèmes de coordination psychomotrices. On dira tout simplement qu'il pâtit d'un désavantage situationnel. Il en va de même pour les organisateurs horizontaux. L'univers est conçu en fonction des organisateurs verticaux et de leur système de rangement. Les organisateurs horizontaux, eux, en sont réduits à investir les tables, les dessus d'armoire, les chaises et le plancher. Si quelqu'un s'était soucié de concevoir un meuble adapté au rangement et à l'archivage des organisations horizontaux, ces derniers seraient tout aussi organisés et méticuleux que les autres.

Pour surmonter votre tendance à la procrastination, le meilleur moyen consiste à s'entourer de coéquipiers qui ne soient pas, eux aussi, des procrastinateurs. Ces gens-là sont encore plus efficaces qu'un radio-réveil, même s'ils sont parfois plus difficiles à désactiver.