Sade, la dissertation et l'orgie
de Chantal Thomas

critiqué par Kinbote, le 13 février 2004
(Jumet - 65 ans)

La note: étoiles

Les mots à l'épreuve des sensations extrêmes

Chantal Thomas suivait le séminaire de Roland Barthes lorsqu’elle écrivit ce texte, d’abord intitulé L’œil de la lettre. A la faveur de sa réédition en poche, elle a gommé les expressions trop datées, trop marquées « structuralisme ».
Ce qu’elle a trouvé dans Sade ? « Il y a un éclat unique propre aux textes de Sade. Une extraordinaire puissance d’incitation à jouir, vivre et écrire. »
Elle prend soin de rappeler que les libertins mis en scène par Sade ne sont pas à confondre avec Sade l’homme qui « ne s’est pas reconnu dans la Terreur et même en eut horreur ». Lui-même écrivit :
« C’est l’homme de génie que je veux dans l’écrivain, quelque puissent être ses moeurs et son caractère, parce que ce n’est pas avec lui que je veux vivre, mais avec ses ouvrages [...] le reste est pour la société et il y a longtemps que l’on sait que l’homme de société est rarement un bon écrivain. » On dirait aujourdhui : « l’homme de médias ».
Chantal Thomas signale que Sade a écrit des pièces de théâtre impersonnelles et relevant d’une morale traditionnelle.
« Le théâtre représenté est la contrepartie de la clandestinité radicale à laquelle l’essentiel de sa production littéraire se trouve voué ; le double rassurant d’une écriture irrecevable. »
Elle entreprend de percer la cosmologie sadienne au travers de mots-clés comme séduction, nuit, silence, mise à nu, se déprendre, sang, trahir,...
Elle dresse un portait du libertin et de l’acte sadiens.
« Au plaisir de gradation essentiel à la luxure réfléchie du libertin correspond la dé-gradation méthodique de son objet. Le corps de la victime est gradué comme un instrument de précision destiné à déterminer le degré de plaisir du libertin. C’est un algomètre. »
Et : « Contre le puritanisme du strict nécessaire, la revendication du superflu correspond à la prise de conscience que la réalité d’un corps, d’un objet est proportionnée au luxe de désirs, au faste d’images qu’ils suscitent. »
Elle cite aussi Nietzsche qui vantait chez les Grecs « l’adoration de l’apparence, la croyance aux formes et aux sons » alors que toute éducation, toute domination par la pensée vise à faire fi du corps en nous inculquant « la notion morale de voix intérieure » et en nous « assourdissant au Silence ».

Elle ose ce parallèle entre les contes de fée et l’univers sadien : « La réalisation de la perversion intégrale est productive de merveilleux. Sade exige de son lecteur l’acceptation entière que l’on accorde aux contes de fée. »

Pour justifier son nouveau titre, Chantal Thomas déclare que « la scène salienne refuse l’acting out, la manifestation directe et chaotique, tragiquement dissociée d’un phrasé. Après les pires scènes de débauche, les libertins se reprennent rapidement et dissertent sur leurs prestation. L’orgie, oui. Mais l’orgie suivie de la dissertation. »