Un certain Cervantès
de Christian Lax

critiqué par Blue Boy, le 15 octobre 2015
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Le sang chaud de Mike Cervantès
Enrôlé de force comme marine en Afghanistan, Mike Cervantès, après avoir été fait prisonnier par les Talibans, sera finalement libéré contre rançon après deux tentatives d’évasion ratées. Dans ce pays miné par la guerre et le terrorisme, il aura laissé des plumes mais surtout un bras… Une transposition fort à propos du mythe de Don Quichotte dans l’Amérique contemporaine.

Un certain Cervantès commence à la manière d’un western spaghetti pour obliquer immédiatement vers le film de guerre et se terminer en chasse à l’homme road-moviesque façon Thelma et Louise. L’idée de départ est très bien trouvée. Imaginons Miguel de Cervantès, l’auteur de Don Quichotte, roman lui-même inspiré partiellement de la vie de l’auteur, en quelque sorte réincarné dans les USA de Bush ? Certes, Mike Cervantès est différent, n’écrit pas de livres. Personnage attachant, il fait figure d’outcast vivant de petits jobs, mutilé de guerre et poor lonesome cowboy croupissant au fin fond de son Arizona. Si son histoire suit la trame du roman, il n’est pas tout de suite conscient des liens qui l’unissent avec le héros espagnol.

En cela, le traitement est original, Christian Lax déroulant deux fils narratifs distincts s’entrecroisant pour finalement se réunir à moment donné avec des discussions silencieuses entre l’écrivain et son lecteur. Ainsi, c’est dans la bibliothèque de la prison où il purge une peine pour avoir saccagé un distributeur bancaire qu’il tombera sur le roman de Cervantès (l’aîné donc) qui lui fait forte impression, comme un écho à sa propre révolte, révolte cristallisée par le manque d’égards des autorités à son retour d’Afghanistan (merci pour la prothèse !). Dès lors, Mike s’identifiera tout naturellement au personnage de Don Quichotte tout en se découvrant une passion pour la littérature (en particulier les grands auteurs américains tels que Selby Jr., Bukowsky, Fante…), allant jusqu’à surnommer « Sancho » un compagnon de hasard latino-clando, tout comme sa vieille Mustang, rebaptisée Rossinante…

En évitant l’écueil du brûlot politique grâce à une approche scénaristique rigoureuse, cet album tout en ironie se veut une attaque en règle contre ce moulin à vent géant qu’est l’Amérique de l’Oncle Sam avec ses indécrottables tares, une attaque bien en phase avec l’époque à coup d’allusions bien senties à nombre de sujets très actuels mais surtout très américains : la culture croissante du profit et son corollaire, la crise des subprimes, l’immigration clandestine, la condition des Indiens, l’abrutissement généralisé des masses via l’omniprésence des écrans et des télévangélistes, le retrait des œuvres subversives des bibliothèques, ou encore le traitement inique de l’information…

Il faut souligner aussi le beau dessin en noir et blanc au lavis, qui révèle toute sa splendeur avec la représentation des paysages légendaires du désert navajo. Le trait réaliste et nerveux de Lax traduit parfaitement la tension qui imprègne le récit.

Une réussite donc que ce one-shot, prouvant qu’un auteur peut être efficace tant sur le plan du dessin que du scénario. Du reste, quel message retient-on après lecture de cette relecture originale de Don Quichotte ? Exprimer sa colère face à la bêtise et l’injustice par des actes purement individuels (il n’est évidemment pas question de terrorisme ici), ça ne sert peut-être à rien, mais dans certains cas ça peut soulager !
Le crépuscule des cow-boys solitaires 7 étoiles

Depuis la claque qu’avait été pour moi, il y a longtemps déjà, l’Aigle sans orteil, je n’ai pas le souvenir d’avoir recroisé, au cours de mes lectures, une des œuvres de Christian Lax. C’est donc avec un vrai bonheur que je retrouve cet auteur : dès les premières pages j’ai été de nouveau conquis par l’élégance et la finesse graphique, ainsi que par le sens de la composition ! L’album est tout en nuance et lavis de gris, rehaussé de temps en temps par de discrètes pointes de couleur, sur les magnifiques soleils couchants du désert notamment : je trouve le dessin de Christian Lax sublime, à la fois d’une grande finesse, onirique et très contemporain.

La narration est peut-être un peu trop didactique et démonstrative, mais il est difficile de ne pas s’attacher, dans ce road story somme tout classique, à ce rebelle de Mike Cervantès, qui, inspiré par son quasi homonyme, rue dans les brancards de façon un peu vaine, se bat contre des moulins à vent, sans espoir de gagner, contre le système. Faut-il y voir une oraison, de la part de Christian Lax, à tous les cow-boys et autres justiciers solitaires, alors que notre époque moderne réclame sans doute, plus que jamais, que les opprimés unissent leur force pour espérer changer le Monde ?

Fanou03 - * - 49 ans - 19 février 2018