La vie quotidienne à Vienne à l'époque de Mozart et de Schubert
de Marcel Brion

critiqué par Alceste, le 14 octobre 2015
(Liège - 63 ans)


La note:  étoiles
Comme si vous y étiez...
On est rarement déçus par les volumes de la collection « La vie quotidienne ». À travers une avalanche de petits faits curieux ou pittoresques, c’est une époque et ses mouvements profonds qui prennent forme sous nos yeux. Cet exemplaire ne fait pas exception à la règle, grâce aussi au style limpide et malicieux de Marcel Brion.


Dans cette plongée dans la Vienne de l’époque classique, on a l’occasion de croiser un Joseph II « en manteau vert aux coudes rapiécés, qui s’était fait faire une casquette recouverte de toile cirée, qu’il portait même au théâtre... » C’était sa façon de donner de lui l’image d’un souverain simple, proche de son peuple. La déception sera son lot ; sur sa tombe, il avait fait écrire : « Ici repose un prince qui eut les meilleures intentions pour ses sujets et vit échouer tous ses projets. »


Les grands musiciens annoncés dans le titre font des apparitions furtives, d’autant plus appréciées, à l’exception de Schubert, plus amplement présenté comme un exemple parfait d’adéquation d’un artiste à l’esprit d’une ville.


On y découvre une population viennoise toujours en quête de plaisir et d’amusement. On s’émerveille de girafes, de lions, de singes, de crocodiles exposés non dans des cages mais -déjà- dans des espaces naturels aménagés à leur intention.


Les spectacles ont évidemment la cote, et Schikaneder, le librettiste de la Flûte enchantée, suscite l’engouement du public par ses mises en scène extravagantes : on y tire parfois le canon, ce à quoi la police de Vienne doit mettre bon ordre, non sans susciter les récriminations du bon peuple.


La valse envahit les soirées viennoises après la période napoléonienne. Elle succède au menuet, jugé trop aristocratique, et draine les foules dans des salles qui peuvent accueillir jusqu’à dix mille danseurs.


L’arrivée de Napoléon aux portes de Vienne est une première entorse dans sa joie de vivre et son optimisme. Sévèrement prévenus contre les idées jacobines, les Viennois mettront tout leur cœur à défendre la ville, mais la disparité de l’armée autrichienne donna la victoire aux Français. L’ « Ogre de Corse » put donc parader dans la ville. L’occupation française ne laissa pas un grand souvenir et le mariage de Napoléon avec une princesse autrichienne fut vu d’un mauvais œil.


Mais c’est le Congrès qui succéda à la chute de l’Aigle qui redonna à Vienne une frénésie qui lui convenait mieux. La présence de ces multiples têtes couronnées et de leur équipage fut prétexte à un déferlement de fêtes, de réceptions et de défilés, qui coûta beaucoup à la ville et ruina probablement la noblesse, la rendant vulnérable à la révolution de 1848. Par ailleurs, mille espions récoltaient tous les faits et gestes des princes et s’empressaient de les diffuser à un public avide de potins. Une sorte de « webgossip » avant la lettre, qui montre par exemple le tsar de toutes les Russies en amoureux transi devant une simple Autrichienne.

L’auteur outrepasse quelque peu les limites chronologiques qu’il s’était assignées, puisque Schubert est mort en 1828, mais c’est sans doute dû au fait que la révolution de 1848 est mal connue du public francophone. Pourtant elle fut douloureuse, avec ses émeutes, ses violences, ses exécutions sommaires, ses exils. Dirigée principalement contre Metternich, elle prend naissance chez les étudiants mais leur échappe, quand les ouvriers puis les Hongrois révoltés se joignent aux désordres. Le bourgeois n’approuve pas, contrairement à son équivalent français, et s’exile. Metternich démis, il faudra des interventions armées pour imposer à nouveau la présence de l’Empereur à la tête de l’État. Mais une époque est révolue, c’est la fin d’une époque idyllique.