Pauvre chose
de Risa Wataya

critiqué par Débézed, le 13 octobre 2015
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Comédie amère
Périodiquement, l’Extrême- Orient produit des petits prodiges du marché littéraire, souvent des très jeunes femmes qui vendent des livres par dizaines de millions, on se souvient notamment de la Japonaise Banana Yoshimoto et de deux Chinoises, Weihui et Mian Mian. Aujourd’hui, c’est une autre Japonaise, Risa Wataya, qui arrive en France avec ce roman. Elle a connu le succès très jeune avec un premier roman primé à dix-sept ans et, surtout, le prestigieux prix Akutagawa à dix-neuf ans pour un autre titre vendu à cent-vingt millions d’exemplaires. Elle est aussi la plus jeune auteure à avoir reçu le prix Kenzaburô Ôe que l’auteur choisit lui-même dans une sélection qu’il a lui-même effectuée.

Dans ce roman édité au Japon en 2011, Wataya raconte l’histoire d’une jeune femme tokyoïte ayant la phobie des tremblements de terre qui découvre que son petit ami partage son toit avec l’ancienne copine qu’il fréquentait quand il était en Amérique. Elle le met dans l’embarras quand elle lui demande brutalement si, en cas de tremblement de terre, il sauverait d’abord sa colocataire, ex petite amie, plutôt qu’elle son amie actuelle. Le jeune homme insiste et lui fait comprendre qu’il a un devoir moral envers cette fille qui est revenue d’Amérique avec lui et qui se retrouve sans toit ni emploi à Tokyo. La jeune femme balance entre deux positions : obliger son copain à renvoyer son ex comme le ferait un bon Nippon ou accepter cette cohabitation comme semblent le tolérer les Américains. A travers ce trio, l’auteure explique la situation complexe dans laquelle se trouvent souvent les jeunes Japonais confrontés à la contradiction entre leur volonté d’accéder la modernité venue d’Occident tout en conservant un certain respect pour la tradition de leurs pères.

L’auteure, elle a choisi, elle écrit à la manière occidentale pour bâtir une image où se mélangent une certaine fraîcheur et une bonne dose de morosité, décrivant le Japon d’après l’euphorie quand la crise occidentale a commencé à ralentir la marche triomphale de l’économie nippone et à limer les généreux profits des entreprises. Le héros et les héroïnes de ce roman ont la trentaine ou presque mais pas toujours un emploi et surtout pas une situation personnelle stable. Ils n’ont pas encore construit leur famille, n’ont pas de logement ou seulement un minuscule studio. L’escalade économique du Japon est devenue résistible, l’exigence professionnelle a encore crû, le chiffre d’affaires du magasin détermine l’humeur de tous les employés, il reste peu de temps pour construire une vie personnelle et fonder une famille.

Gainsbourg disait : « L’amour c’est déjà compliqué à trois, alors t’imagine à deux ! » Manifestement, les jeunes Japonais de ce roman ne sont pas encore tout à fait prêts pour tester la première proposition du poète et peut-être même pas pour mettre en application la seconde.