Voyage au bout de la blanche
de J. R. Helton

critiqué par Numanuma, le 27 septembre 2015
(Tours - 50 ans)


La note:  étoiles
MDMA et gueule de bois
Je me demande combien de bouquins j’ai pu lire qui traitent des drogues. J’ai l’impression qu’une grande partie de ma bibliothèque est sous influence des psychotropes sans que je puisse dire avec précision de quels livres il s’agit. L’œuvre de Burroughs est marquée du sceau de la dépendance aux opiacés, celle de Bukowski est pleine de taches de vins, la Benzédrine explose les pages de Kerouac et je ne parle même pas des ouvrages et autobiographies relatifs au rock !
Je me demande si je ne suis pas accro aux écrits intoxiqués et ce n’est pas ce texte au titre très trompeusement célinien qui va arranger les choses.
Paru chez 13ème Note Editions, ce récit de J.R Helton est comme un inventaire des drogues, une longue piqûre bien chargée qui en fait voir de toutes les couleurs. C’est à se demander comment on peut avoir passé autant de temps à se défoncer et être encore capable de le raconter ! La réponse de l’auteur est assez simple : se déglinguer oui, mais avec parcimonie et lucidité.
Helton, présenté dans le texte sous le nom de Jake, est un américain blanc issu de la classe moyenne, pas un défavorisé ni un type blindé de thunes. Un gars normal, vous, moi. Ce n’est pas non plus un hédoniste, c’est un curieux qui goûte à ce qu’on lui propose, pour le plaisir, pas pour se donner un genre ni chercher un sens à sa vie. Avec le temps et les expériences, sa démarche devient presque savante : il connaît les mélanges à ne pas faire, les quantités, les effets principaux et secondaires, les manières d’améliorer le trip, d’accélérer la montée, de gérer la descente, etc… Son credo est finalement assez simple : prendre ou ne pas prendre de dope est une question de volonté.
Le ton du livre est intéressant. C’est un témoignage lucide, pas une mise en garde ni un encouragement. On ne rigole pas forcément beaucoup et on compatit un peu devant ses efforts pour se procurer des médicaments légaux pour lutter contre ses maux de dos. Je dois bien avouer que mes récents démêlés avec une hernie discale particulièrement vicieuse et porteuse de tout un tas d’anti inflammatoires, corticoïdes et autres dérivés de morphine me permettent de revivre la sensation d’apaisement que procure la prise de sa dose journalière autorisée et au moment même où j’écris ces lignes, j’attends de pouvoir prendre mon petit cachet nocturne.
Je rassure mes fans, surtout ceux à forte poitrine, le traitement s’arrête demain.
Et c’est là le où le bât blesse finalement. L’auteur ne cache rien de ses expériences face à la drogue. De ses envies en fait. Et, en même temps, il n’hésite pas à nous sortir des trucs aussi farfelus que la plus grande drogue qui soit, c’est la télé…
Son idée est simple et pas dénuée d’intérêt mais fait un peu trop penser aux théories du complot : en gros, aux USA, il plus simple d’acheter des produits illégaux que de l’alcool alors que l’alcool tue beaucoup plus. S’ensuivent des considérations sur le fait que les grands labos pharmaceutiques droguent légalement le monde grâce à leurs médicaments supposés aider à lutter contre la drogue, ou les douleurs, ou les cheveux blancs. Pour faire simples, comment lutter efficacement contre la drogue sachant que celle-ci est votre gagne-pain ? Ça, c’est le problème des gouvernements. Pour les labos c’est plus simple, ton anti-drogue est aussi une drogue. Buisness as usual.
Une grande honnêteté abreuve le texte, ce qui permet de passer au-dessus de ces considérations qu’on trouvera, au choix, absurdes ou parfaitement réalistes, d’autant plus que cela ne concerne que les derniers chapitres. De plus, sa vision de l’état de l’Amérique comme un pays fabriquant ses junkies à grands coups d’antidouleurs et d’antidépresseurs n’est pas sans rappeler les constatations faites par Jean-Paul Dubois dans son recueil L’Amérique m’effraie, chronique ici : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/11719.
Helton ayant écrit d’autres textes, vous reprendrez bien une petite ligne…