Boussole
de Mathias Enard

critiqué par Tanneguy, le 27 septembre 2015
(Paris - 85 ans)


La note:  étoiles
Orientalisme, érudition....
Franz Ritter, musicologue autrichien, se retourne dans son lit sans trouver le sommeil ; les analyses médicales qu'il doit bientôt recevoir ne seront pas bonnes, il le craint. Le roman se déroule heure par heure au cours de cette nuit d'insomnie.

Il se rappelle ses voyages en Orient, Istanbul, la Syrie, Téhéran, ses rencontres, son parcours avec Sarah, qui lui échappe, fascinée qu'elle est par cet Orient mystérieux qu'elle connait si bien.

Le narrateur "convoque" également dans son souvenir ces hommes illustres qui au cours des derniers siècles ont été inspirés ou seulement attirés par cette région du monde mystérieuse. Des auteurs comme Henri Heine ou Thomas Mann, des musiciens comme Mendelssohn ou Beethoven, ou encore de fabuleux poètes persans que j'avoue sans honte n'avoir jamais entendu parler. Cette fresque est plaisante, surtout de la part d'un auteur qui manifestement connait son sujet.

J'ai beaucoup apprécié le récit de la prise de pouvoir des ayatollahs à Téhéran telle qu'elle fut vécue par quelques jeunes occidentaux qui y poursuivaient leurs recherches, archéologiques ou autres, et y ont pris du plaisir, au début tout au moins...

Un grand roman, pas toujours facile à lire.
Un roman engagé sur l’altérité et le métissage 9 étoiles

« Boussole » de Mathias Enard

Un roman engagé sur l’altérité et le métissage (l’autre en soi). L’auteur nous emporte magistralement au cours d’une nuit d’insomnie dans un voyage à travers l’Orient passé et présent. Le narrateur, un musicologue érudit, mourant dans sa chambre à Vienne, cette ancienne porte de l’Orient, revient sur sa vie, ses rêves, ses espoirs et ses déceptions dans sa relation d’amour insaisissable avec l’Orient. On le suit tout au long de cette nuit dans ses souvenirs de voyages - d’Istanbul à Alep, en passant par Téhéran - mais également dans ses souvenirs de rencontres et dans ses réflexions de chercheur.
C’est avant tout un roman réflexif sur plusieurs siècles d’Orientalisme, sur les interactions et les influences de l’Orient sur l’Occident. C’est un roman encyclopédique, gonflé de références historiques et d’anecdotes drôles et cruelles (sur Balzac, Beethoven, Liszt et Wagner notamment). On ne s’ennuie jamais au cours de cette aventure littéraire, malgré l’érudition et la densité de l’ouvrage, tant le flux varie par son originalité. On trouve de tout dans ce roman fleuve : de l’engagement, du rêve, des délires d’opiomane, de l’amour, des documents historiques (sur le Jihad allemand notamment) et des réflexions sur l’actualité. C’est un roman qui prend le temps, on est plongé dans un monde, dans une discussion. J’ai été transporté par cette balade musicale à travers ces décors meurtris, ces révolutions manquées, et cette mélancolie orientale de l’auteur.
J’ai appris des choses et je me suis amusé. Un bonheur. J’avais noté ce passage : « L'être est toujours dans cette distance, quelque part entre un soi insondable et l'autre en soi. Dans la sensation du temps. Dans l'amour, qui est l'impossibilité de la fusion entre soi et l'autre. »

Evanhirtum - - 37 ans - 23 août 2016


A l'Est toute! 8 étoiles

Difficile de définir cette histoire de la nuit d'insomnie d'un musicologue viennois. Encore plus difficile de comprendre quelle direction l'auteur veut prendre. Il s'agit à la fois d'une plongée dans l'orientalisme scientifique, du bilan d'un homme qui apprend sa maladie, d'une histoire d'amour et d'actes manqués, d'une réflexion sur l'identité et la part de l'autre en soi, de digressions d'un universitaire musicologue.

C'est certes très érudit, de temps en temps ça confine au catalogue, on se perd dans les références et les personnages, c'est parfois si pointu que s'en est excluant. Mais ces découvertes m'ont beaucoup intéressé. Et surtout j'ai été passionné par le thème de l'orientalisme et des orientalistes. Ceux qui ont cherché et inventé un Orient fantasmé. Et qui ont même exporté cet Orient imaginaire chez les Orientaux. Mathias Enard décrit ses personnages comme des hommes et des femmes abîmés qui s'exilent dans une fuite en avant.

Un beau livre sur cet Occident et cet Orient qui n'ont eu de cesse d'échanger et de se changer parce que leur histoire est commune.

Elko - Niort - 48 ans - 12 avril 2016


O rage O désespoir 3 étoiles

J'ai beaucoup aimé Zone et Parle-leur de batailles...
Mais Boussole est insupportable.
Et mises bout à bout les critiques précédentes y compris les plus favorables en expliquent le motif; monument d'érudition élitiste, digressions documentaires insupportables, perte de cette puissance stylistique qui m'avait envoûté chez cet auteur.
Je compatis sincèrement à ceux qui auront acheté Boussole es-qualités Goncourt de l'année.
J'attends le prochain Enard, de l'auteur que j'ai jusqu'alors apprécié.

Insider - EYSINES - 64 ans - 12 mars 2016


Pour certains de la grande littérature, pour moi de l'insupportable 5 étoiles

Cela commence très mal avec une première phrase qui occupe la première page. Et , relisant cette phrase, je ne peux comprendre en quoi sa longueur apporte un sens quelconque à ce qui est dit. Le même propos divisé en 10 ou 15 morceaux eut amené une compréhension identique ou meilleure. Proust a fait un mal fou à la littérature française, conduisant des auteurs d'un talent moindre à étirer leurs propos sur des lignes et des lignes. Ensuite, on rencontre entre 5 et 10 citations littéraires ou musicales par page. Cela relève d'une indéniable cuistrerie à laquelle on peut, bien entendu, se laisser prendre.
J'ai apprécié quelques passages. Celui où, sans nommer l'auteur (pourquoi?), Enard s'en prend au titre d'un livre de Eric-Emmanuel Schmitt. Celui où (est-ce exact?) il décrit Beethoven jouant juste sur un piano désaccordé, sans pouvoir l'entendre vu sa surdité, et où le public, médusé, est envahi d'un flot de notes fausses.
A part cela, cet auteur fait preuve d'un incroyable érudition universitaire et la place dans tout son livre, oubliant complètement qu'il tentait d'écrire un roman pour lequel la récompense du Goncourt est bien mal venue.

Falgo - Lentilly - 85 ans - 8 mars 2016


Boussole… un rêve d'Orient 8 étoiles

En voyant les images d’Alep se vidant de ses habitants, contraints à l’exil sous le poids des bombes qui s’abattent sur la ville, j’ai repensé à mon voyage en Syrie et aux fortes émotions de ce voyage au Proche-Orient. J’ai alors recherché dans le livre de Mathias Enard ce passage où il parle de cette superbe cité qui est en train d’être rasée : «Nous sommes rentrés à l’hôtel par le chemin des écoliers, dans la pénombre des ruelles et des bazars fermés – aujourd’hui tous ces lieux sont en proie à la guerre, brûlent ou ont été brûlés, les rideaux de fer des boutiques déformés par la chaleur de l’incendie, la petite place de l’Évêché maronite envahie d’immeubles effondrés, son étonnante église latine à double clocher de tuiles rouges dévastée par les explosions : est-ce qu’Alep retrouvera jamais sa splendeur, peut-être, on n’en sait rien, mais aujourd’hui notre séjour est doublement un rêve, à la fois perdu dans le temps et rattrapé par la destruction. Un rêve avec Annemarie Schwarzenbach, T. E. Lawrence et tous les clients de l’hôtel Baron, les morts célèbres et les oubliés …»
Si la lecture de ce roman couronné du Prix Goncourt 2015 résonne aussi fort en moi, c’est d’abord pour les souvenirs qu’il évoque et que doivent partager tous ceux qui ont arpenté le site de Palmyre, les ruelles d’Alep ou le souk à Damas. Cette impression d’un drame absolu, né de la folie d’hommes qui ont oublié d’où ils venaient, combien leur culture, leur art, leur science et même leur religion était riche.
Avec une époustouflante érudition – je vous l’accorde, il faut quelquefois s’accrocher pour suivre le récit – Mathias Enard en témoigne. En nous entraînant sur les pas de Franz Ritter, musicologue installé à Vienne, il jette sans cesse des ponts entre les occidentaux avides de connaître cet orient au-delà des fantasmes. A moins que ce ne soit à cause de ces fantasmes qui ont nourri leur œuvre de musicien, de poète, d’écrivain.
Entre colloques universitaires et récits de voyages, entre découvertes archéologiques et conversations autour d’un verre ou d’un feu de camp, on découvre la richesse de l’orientalisme inventé par Napoléon Bonaparte «c’est lui qui entraîne derrière son armée la science en Egypte, et fait entrer l’Europe pour la première fois en Orient au-delà des Balkans. Le savoir s’engouffre derrière les militaires et les marchands, en Egypte, en Inde, en Chine.»
Derrière lui, les écrivains et les musiciens seront nombreux à raconter leur vision de cet orient. De Victor Hugo avec «Les Orientales» à Chateaubriand, de T. E. Lawrence à Agatha Christie, de Klaus Mann à Isabelle Eberhardt, sans oublier les poètes comme Rimbaud, Nerval, Byron.
Pour le musicologue, il y a tout autant à raconter, tant les influences orientales parsèment les œuvres de Schubert, Beethoven, Mendelssohn, Schumann, Strauss, Schönberg. Il semble que l’occident tout entier ait eu cette soif d’Orient. «Les Allemands, dans l’ensemble, avaient des songes bibliques et archéologiques ; les Espagnols, des chimères ibériques, d’Andalousie musulmane et de Gitans célestes ; les Hollandais, des visions d’épice, de poivriers, de camphriers et de navires dans la tempête, au large du Cap de Bonne-Espérance.» Quant à Sarah et aux Français, ils se passionnent non seulement pour les poètes persans, mais aussi pour ceux que l’Orient en général avaient inspirés.
Voilà justement le moment de dire quelques mots de cette Sarah que Franz rencontre lors d’un voyage et qui va servir de fil rouge au romancier. Tout au long du roman, on suit en effet la quête de Franz, amoureux transi. La belle rousse, spécialiste de cet Orient qui le fascine tant, avec qui il va pouvoir partager ses découvertes. Même si cette femme ne possède rien («Ses livres et ses images sont dans sa tête ; dans sa tête, dans ses innombrables carnets»), il s’imagine, depuis une nuit à la belle étoile passée au pied de la forteresse d’Alep, ne plus jamais la quitter.
Mais c’est elle qui s’envolera pour enterrer son frère, traumatisme dont elle ne se remettra pas et que l’entraînera à «l’orient de l’orient».
Des années plus tard, il va pourtant la croiser à nouveau en Autriche : «L’avenir était aussi radieux que le Bosphore un beau jour d’automne, s’annonçait sous des auspices aussi brillants que cette soirée à Graz seul avec Sarah dans les années 1990, premier dîner en tête à tête…»
Sauf que «la vie est une symphonie de Mahler, elle ne revient jamais en arrière, ne retombe jamais sur ses pieds. Dans ce sentiment du temps qui est la définition de la mélancolie, la conscience de la finitude, pas de refuge à part l’opium et l’oubli».
Mathias Enard dit avec élégance la souffrance du manque. Au soir de sa vie, il a beau ressortir «la boussole qui pointe vers l’orient, la boussole de l’illumination, l’artefact sohrawardien. Un bâton de sourcier mystique», il compris que le monde qu’il a rêvé n’est plus, que seuls les récits témoignent de la beauté et de l’amour. Que le paradis est artificiel.
«Une bouffée d’opium iranien, une bouffée de mémoire, c’est un genre d’oubli de la nuit qui avance, de la maladie qui gagne, de la cécité qui nous envahit.»
http://urlz.fr/34Zh

Hcdahlem - - 65 ans - 12 février 2016


A la recherche de l'Orient 8 étoiles

Livre d'amour, d'un amour fait d'espoir et de souffrance pour une femme toujours espérée, "insaisissable" et livre d'amour d'un auteur pour cet Orient qu'il connaît si bien de par ses propres 'expériences vécues qu'il nous transmet au fil des pages par l'entremise de son protagoniste, ce Franz, musicologue mélancolique, revisitant la, les routes de sa quête.

Foisonnement de références tant littéraires que musicales, majeures ou plus anecdotiques: une érudition qui, parfois, peut déranger une lecture qui se voudrait fluide.

J'avoue, d'ailleurs, que je ne suis "entrée" dans ce livre qu'après 40 pages mais ayant eu la chance de rencontrer l'auteur pour une conférence sur l'orientalisme- beaucoup trop brève- je ne pouvais que persévérer!

Si, toutefois, je n'ai pas retrouvé ce style, cette puissance d'écriture qui me fascine tant chez lui habituellement, il reste que ce "roman", documentaire pour moi, est passionnant.

Des mots de Mathias Enard pour dédicace qu'ils fait siens:

"Il y a toujours
Un Orient
à l'Orient
de l'Orient."
(Fernando Pessoa)

Provisette1 - - 12 ans - 10 décembre 2015


L'obsession de Franz pour Sarah 9 étoiles

Tanneguy a bien résumé ce merveilleux livre empreint d'une passion amoureuse obsessionnelle. Franz, musicologue, terré dans son appartement viennois, attend avec angoisse le pronostic de son médecin au sujet de la maladie qui le frappe de plein fouet. Ne parvenant pas à trouver le sommeil, il se remémore sa rencontre avec Sarah, une ethnologue renommée dont il tombe éperdument amoureux. Il relit aussi les lettres qu'elle lui fait parvenir du Sarawak toujours avec l'espoir insensé de la revoir et de pouvoir la serrer dans ses bras. C'est une fresque d'une incroyable richesse que l'auteur nous livre ici et aussi un roman historique retraçant quelques événements d'importance tels que la chute du shah d'Iran et l'avènement de l'ère Khomeini. Outre la belle histoire d'amour, le roman est très instructif et nous y croisons plusieurs personnages intéressants : musiciens, écrivains, poètes, chercheurs. Certains passages sont assez ardus mais il suffit de bien se concentrer et de relire plusieurs fois afin de bien saisir et apprendre. D'autres passages sont dignes des meilleurs romans d'aventures comme celui à Téhéran. Mais toujours, l'auteur revient à Sarah et Franz et à leur histoire d'amour.

C'est beau, riche et envoûtant mais parfois, le roman demande une bonne concentration et un effort intellectuel soutenu. N'importe, nous avons là un chef-d'oeuvre à ne pas laisser passer.

Dirlandaise - Québec - 69 ans - 24 novembre 2015


Goncourt 2015 5 étoiles

Je rejoins l'avis de Tanneguy : pas toujours facile à lire... Beaucoup d'érudition certes, mais sans doute un peu trop (dois-je modestement reconnaître que je n'ai d'ailleurs pas tout compris). La lecture est rendue ardue par des phrases qui n'en finissent pas, des paragraphes qui s'étalent sur des pages et des pages, un mélange où il semble qu'il n'y ait plus de plan structuré.
Ce roman a obtenu le prix Goncourt, et l'on peut s'interroger sur cette attribution. Car une telle récompense va entraîner des achats par des personnes qui lisent relativement peu et qui privilégient les livres primés. Elles risquent d'être rebutées, et de poser rapidement un tel ouvrage, de presque 500 pages. Sans doute pas la meilleure idée pour redonner à certains le goût de la lecture...

Bernard2 - DAX - 75 ans - 12 novembre 2015