Propos sur l'imparfait
de Jacques Drillon

critiqué par Kinbote, le 10 février 2004
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Tempus imperfectus
« L’imparfait est imparfait, tout commence par là. » Peut-être était-il bon de le rappeler.
Ce court essai constitue donc moins une réflexion sur le temps de l’imparfait que sur l’impairfection, comme l’écrit joliment Jacques Drillon, auquel on doit un éclairant Traité de la ponctuation française (Gallimard, 1991).
Plus loin, Drillon développe sa définition.
« L’imparfait est imparfait parce qu’il est auxiliaire. Il est un valet du parfait (du passé simple). Mais un irremplaçable valet. Il introduit le parfait, puis s’efface avec la modestie qui sied à sa condition. »
Il prend l’exemple de cette phrase : « La fée frappa la grenouille de sa baguette, et soudain la princesse était là. » pour montrer que « l’imparfait fabrique une image présente ». L’imparfait est le présent du passé. Et d’ajouter que le présent de narration est « un artifice, une invention, une forgerie ».
Proust affirmait que la « grande nouveauté de style de Flaubert réside dans l’emploi de certains temps du passé » et que « il a renouvelé presque autant notre vision des choses que Kant ».
Proust en tirera la leçon dans sa Recherche afin que « le fait passé reste présent ».
[Pour Valéry, le passé est « le lieu des formes sans forces».]
« Célébrer le passé, écrit Drillon toujours à propos de Proust, à plus forte raison le sien, c’est se poser soi-même comme sujet du récit. » Et de rapporter le mot de Levinas : « Autrui, c’est un passé qui n’a jamais eu de présent. »
L’auteur observe que les divers temps du passé produisent des effets de perspective ; « et il n’est pas indifférent que le tournant du XVème siècle ait vu à quelques années près l’invention de la perspective et la mise en relation des passés divers dans la grammaire ». Il souligne la supériorité du français sur « les langues à preterit, qui ne distinguent point le parfait de l’imparfait. »

Dans deux lettres adressées à des pianistes, l'auteur (critique musical au Nouvel Observateur) accable les grands pianistes (« Vous êtes les plus grands, et vous nous étouffez. ») de ne pas laisser de place à l’imperfection qui est « le lieu même de la musique ».

Enfin, « parce que que la vie imparfaite » et que « le tabac est », Drillon consacre à ce dernier un superbe texte où il écrit entre autres choses: « Le tabac marque la fin des choses : la fin du repas (laquelle se confond avec le café, ceci explique cela), la fin du coït, la fin de l’effort, et ainsi tout ce qui est susceptible de se terminer.» Mais aussi : « En cessant de fumer, on renonce à l’insouciance, on admet de parler à l’imparfait. Tout était permis, rien ne l’est plus ; et même le plus légitime devient illicite. »

Les quelques textes composant cet ouvrage sont autant de belles variations sur le temps de l’imparfait.