Les hauts revenus en France au XXème siècle
de Thomas Piketty

critiqué par Colen8, le 19 septembre 2015
( - 83 ans)


La note:  étoiles
Une histoire en accordéon
Le succès planétaire du « Capital au XXIe siècle » largement alimenté par cet ouvrage paru en 2001 a justifié sa réédition. Des graphiques et tableaux plus que parlants sont là pour rassurer ceux que rebuterait un sujet austère fondé sur des analyses fines de séries statistiques, des notions de déciles et de fractiles. Les revenus sont constitués de salaires, pensions et retraites, loyers, placements, activités agricoles, artisanales, libérales ou entrepreneuriales. On parle de 32 millions de foyers en 1998. La limite, autrement dit la définition « hauts revenus » est celle du dernier décile (P90-100) soit une tranche de 3,2 millions de foyers. Celle-ci inclut les classes moyennes (1,6 millions de foyers, P90-95), moyennes supérieures (P95-99) et supérieures (P99-99,99) puis le groupe extrême (P99,99-100) qui représente 3200 foyers communément appelées les « 200 familles ».
Dans cette histoire, les Trente Glorieuses (1948-1978) se détachent étonnamment, avec une pente à 5% sur une courbe quasiment plate avant et après. L’absence de croissance actuelle rejoint d’ailleurs une tendance longue même si on la regrette sur le plan de l’emploi. Les inégalités de revenus suivent une ligne chaotique pour se retrouver sensiblement au même niveau entre le début et la fin du siècle. Les revenus dans l’ensemble bénéficient d’un pouvoir d’achat multiplié par 5, sauf pour la toute dernière tranche qui elle, bien que restant à des niveaux astronomiques, voit le sien divisé d’un facteur équivalent. Les inégalités s’inversent toutefois à des dates, pendant des périodes particulières : les deux guerres mondiales, 1929, 1936, 1968-1983, etc. Seule la tranche des « 200 familles » fait exception. Ces plus grandes fortunes et plus hauts revenus associés ont été laminés pendant la période 1915-1945. Ils ne se sont pas reconstitués sur la seconde moitié du 20ème siècle, plus en raison des effets cumulés de l’impôt sur le revenu, de l’ISF et de l’impôt sur les successions que selon la théorie de Kuznets croyant à une compression naturelle et spontanée des inégalités à mesure du développement du capitalisme*.
C’est un travail d’observation expérimental, rigoureux, minutieux, précis dans la démonstration duquel l’auteur avance progressivement. Fondé sur des données publiques macroéconomiques et surtout fiscales (reproduites en partie dans les quelques 250 pages d'annexes), et une large explication sur les hypothèses retenues et leur interprétation il est reproductible, réfutable donc conforme à une démarche scientifique. Avec en prime le détail d’un siècle de législation fiscale qui se veut à la fois accompagner une politique de redistribution et ménager les classes moyennes, on rêverait que les acteurs d’aujourd’hui s’en imprègnent ou s’en inspirent compte tenu d’une nécessaire remise à plat de la fiscalité. Pour la petite histoire les revenus non imposables des placements mobiliers (livrets divers) et des contrats d’assurance-vie atteignaient à la fin des années 90 la coquette somme de 43 milliards d’euros par an.
*Il n’est que de voir les années 1998-2015 où la financiarisation à outrance creuse à nouveau des écarts vertigineux…