2084: La fin du monde
de Boualem Sansal

critiqué par TRIEB, le 9 septembre 2015
(BOULOGNE-BILLANCOURT - 73 ans)


La note:  étoiles
1984-2084
2084-La fin du monde, est un pamphlet, un récit utilisant la trame romanesque, et les rebondissements d’un conte pour éclairer le lecteur et le mettre face à des vérités désagréables et bien dérangeantes : par exemple, celle qui est énoncée en exergue du roman : « la religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité. »
Le roman a pour cadre l’Abistan, un immense empire conquis autrefois sur les infidèles, les ennemis de la Foi. Le système de cette contrée repose sur la soumission à un dieu unique, Yölah, dont le prophète, Abi, est le délégué sur terre. Toute idée personnelle, toute pensée originale ou manifestant le moindre commencement de déviance y est bannie. L’écriture révérée est le Gkabul, dont les habitants de cet empire doivent s’imprégner sans cesse, le psalmodier à de nombreuses reprises dans la journée dans les mockbas, lieux de culte. Cet environnement doit rappeler quelque chose aux lecteurs contemporains mais Boualem Sansal dans sa préface nous avertit avec force humour et ironie : toute ressemblance avec une réalité existante est fortuite, le récit se déroulant dans un futur lointain naturellement sans rapport avec l’actualité.
La force de ce roman est qu’il démonte un par un les mécanismes qui conduisent au totalitarisme religieux et à l’obscurantisme, comme mode de conduite.

Cette mise en évidence se précise à mesure du déroulement de l’intrigue de départ : Ati, personnage central, met en doute les certitudes et dogmes imposés par cette société ; il entreprend de découvrir l’existence d’un peuple renégat qui vit dans les ghettos, sans l'aide de la religion. Il envisage également l’existence d’une frontière à l’Abistan, et par conséquent la possibilité d’un autre pays, d’une autre langue, d’autres mœurs …
Au départ, pour construire la servitude, on nomme l’ennemi, l’infidèle : « On parlait de la grande mécréante, on parlait de Makoufs, mot nouveau signifiant renégats invisibles et omniprésents. »
Un autre lien est mis en lumière « Quel meilleurs moyen que l’espoir et le merveilleux pour enchaîner les peuples à leurs croyances, car qui croit a peur et qui vapeur croit aveuglément. »
Au cours de son voyage, Ati interroge des individus, voit le doute grandir dans son esprit au point de faire un constat encore plus amer : « C’est en son sein qu’il avait découvert qu’il vivait dans un monde mort et c’était là au cœur du drame, au fond de la solitude, qu’il avait eu la vision bouleversante d’un autre monde, définitivement inaccessible. »
En arrivant dans un village, Ati rencontre Toz, personnage ambigu, dont le véritable rôle est mal défini : un provocateur, un mouchard, un lanceur d’alerte ? Ce dernier rappelle à Ati qu’autrefois, les habits étaient désignés par des termes fonctionnels, neutres, précis. On n’employait pas les vocables de burni, de burniquab, ces voiles qui cachent dans l’Abistan le corps des femmes ….

Boualem Sansal nous amuse, nous captive car il laisse dans le roman une grande place à l’humour et à l’ironie. Il dépeint également la pratique de l’Abilang, cette langue véhiculaire obligatoire dans cet empire de l’Abistan, dont les sonorités, le vocabulaire impliquent l’existence de ce monde uniformisé, aseptisé, oublieux de tout esprit critique. Le clin d’œil à Orwell et à sa novlangue est manifeste mais 2084-La fin du monde, pourra être rangé à bon droit dans la catégorie des livres à citer dans la dénonciation de phénomènes très actuels et d’une actualité cruelle, brûlante …
Tout changer pour que rien ne change 4 étoiles

C'est cette maxime tirée du Guépard de de Lampedusa qui m'est venue en tête alors que je refermais ce livre. En effet, dans cette société révolutionnaire à certains égards, dans laquelle le totalitarisme religieux s'est imposé, le lecteur assiste à la préparation d'un renversement du pouvoir: les élites sont ainsi... elles ne se contentent pas de perpétuer le modèle à l'infini mais, même dans ce contexte normé, contrôlé, il y a toujours des hommes pour espérer modeler la société selon leur vision et leur désirs.
En soi, 2084 n'est pas un mauvais roman, la critique d'un régime théocratique et dystopique tel qu'il s'exerce dans l'Afghanistan des Talibans ou l'Iran des Mollahs est même assez roboratif. Personne dans nos pays occidentaux ne voudrait vivre dans un tel régime malgré tous les discours visant à édulcorer les fondamentaux ultra liberticides de l'Islam. Boualem Sansal se répand d'ailleurs régulièrement en critiques contre ces mêmes pays en fustigeant le trop grand libéralisme dont ils font l'objet vis-à-vis des nervis islamistes qui gangrènent nos sociétés- mais ceci est une autre histoire...
Toute le dernier tiers du récit est mal agencé. Ati est embarqué dans cette conspiration qui mêle beaucoup d'autres personnages sont on perd rapidement de vue le rôle et l'importance. Les thématiques importantes sont traitées dans la première moitié du roman, celle au cours de laquelle l'auteur met en place cette société totalitaire. Ici, la question de la langue est centrale et Sansal comme Orwell avec sa novlangue dans 1984 rappelle combien celui qui a le monopole du "dit" parvient à manipuler les esprits.
Malheureusement, le roman est desservi par le ton général qu'a choisi l'auteur pour dépeindre sa dystopie: généralement sarcastique, j'ai trouvé qu'il dénaturait l'ensemble du texte, on n'y croit pas un moment et soudain tout le roman n'apparaît pour ce qu'il est, un pamphlet, une dénonciation brute et presque gratuite de l'islam politique. On aurait pour le coup aimé des démonstrations plus abouties sur les dangers pour la société et l'Homme en général de se faire phagocyter par une idéologie tirée de préceptes religieux inventés.
J'ai trouvé dans 2084 des éléments intéressants (l'importance de la langue, la confiscation du pouvoir par des élites éclairées qui utilisent la religion à des fins politiques) mais ses défauts, notamment le style adopté ici par Sansal n'en font pas un bon roman.

Vince92 - Zürich - 47 ans - 15 novembre 2024


Abistan si loin, si proche. 8 étoiles

Tout a déjà été dit sur ce livre dans les critiques précédentes.
Il s'agit d'une dystopie de plus dans la longue liste parmi les deux têtes de liste que sont 1984 et Le meilleur des mondes.
C'est toujours un peu le même canevas que nous retrouvons à chaque fois.
La précédente que j'ai lue est Globalia et elle souffre des mêmes maux.
Celle-ci est un bon exemple du genre. Il faut cependant s'accrocher au début du livre car les 80 premières pages sont un peu poussives. Puis le récit décolle et prend de l'intérêt au fil des pages.
Donc un bon livre dans le genre qui peut se montrer d'actualité surtout au moment où j'écris ces lignes.
L'auteur semble avoir des choses intéressantes à dire et ses idées et opinions sont formulées avec art.
Je recommande.

Maranatha - - 52 ans - 24 août 2021


Totalitarismes… 6 étoiles

Mis en quarantaine pour cause de tuberculose, Ati survit dans le terrifiant sanatorium du Sîn dans les confins lointains de l'Abistan, territoire où règne sans partage une religion unique où les croyants répètent en permanence : « Il n’y a de dieu que Yölah et Abi est son délégué. » Tout juste guéri, Ati, libéré, parcourt le pays et gagne la capitale, l’incomparable cité de Dieu, siège du pouvoir théocratique avec la Kiiba, la Grande Mockba et l'Abigouv, le tout-puissant gouvernement des croyants sur terre. Avec son nouvel ami Koa, ils explorent les bas-fonds, sont en butte aux terribles milices de la foi qui corrigent ou tuent déviants et autres mécréants et s’aperçoivent qu’en dépit des apparences lisses et unanimistes, certaines choses ne « collent pas ».
« 2084, la fin du monde » se veut un ouvrage de science-fiction, de pure imagination. Il est bien évident que ce n’est qu’un moyen détourné, une sorte de pamphlet pour décrire l’horreur d’un système totalitaire basé sur une religion unique régnant sans partage. Sansal a voulu imiter Orwell et faire avec l’islamisme, ce que son devancier fit avec le communisme. Même si le résultat n'est qu'un pâle reflet de celui du britannique, la ressemblance entre les deux dictatures est frappante. Mêmes méthodes de répression, de conditionnement des esprits, de gouvernement par la peur, de diffusion d’un obscurantisme assumé. Même pensée unique et même langage codé avec ses inversions de valeurs (« La guerre c’est la paix », « La liberté » c’est l'esclavage », « L’ignorance c’est la force » et quelques autres du même charmant tonneau). Bien que récompensé par un Grand prix du roman de l’Académie française, cet ouvrage ne semble pas mériter autant d’honneurs. L’intrigue est inexistante, sans grande consistance, les personnages manquent d’épaisseur et la narration a un côté caricatural assez agaçant ne serait-ce que par les noms qui ne diffèrent que d’une lettre ou d’une syllabe des originaux. Dans cette fable ou dans ce conte, l’auteur a surtout voulu exposer ses idées philosophiques, condamner sans appel toute forme de théocratie, malheureusement sans jamais délivrer le moindre message d’espoir. Dommage que tout cela soit insuffisant pour prétendre au chef-d’œuvre.

CC.RIDER - - 66 ans - 9 mai 2019


A découvrir 7 étoiles

Voici une lecture pas facile (de par le style narratif) mais qui vaut le détour... Boualem Salem a l'art de mettre le doigt là où cela fait mal.

L'auteur nous offre ici une fable apocalyptique sur l'avènement d'une dictature religieuse.
L'histoire se passe en Abistan, empire aux 60 provinces dirigé par le prophète Abi depuis la fin de la grande guerre sainte. Obéissance, soumission, amnésie, surveillance, ignorance, justice expéditive rythment le quotidien des sujets, interdits de circulation sauf, suprême honneur, pour participer à des pèlerinages.
Ati, trentenaire discipliné, revient d'un sanatorium où il était parti pour soigner sa tuberculose. L'isolement fait qu'il se pose de plus en plus de questions.
Ati se met à douter de tout ce qui lui a été inculqué jusqu'à présent.
Ati se met à rêver à une possible frontière, celle dont on dit qu'elle n'existe pas.
Ses remises en question vont le pousser à prendre des risques et à pénétrer dans " la cité de Dieu" ou il va aller de découvertes en découvertes.

A travers cette dystopie, l'auteur s'attaque aux dérives de l'extrémisme religieux.

Grosse référence à "1984" d'Orwell bien entendu mais avec une écriture pas toujours évidente à suivre et parfois ennuyeuse et confuse.

On ne peut que saluer le courage de Boualem Sansal, auteur algérien, vivant en Algérie où certains de ses livres sont interdits de publication.
Aborder un tel sujet faisant clairement référence à certaines dérives de la religion islamique était un sacré défi!

Ce livre fait froid dans le dos, on n'en sort pas indemne.
Et si on n'en était pas si loin !!!!!!!!!!

Contente de le refermer et de vivre en démocratie ( enfin j'espère )

Faby de Caparica - - 63 ans - 14 janvier 2019


Caustique à souhait 8 étoiles

1984 revisité ? Alléchant. Malgré tout, j'en ai pris mes distances assez rapidement. Inspiré bien sûr, mais c'est véritablement une création que Boualem Sansal nous propose ici.

Tout au long du roman, j'ai gardé en mémoire son avertissement : "Dormez tranquilles, bonne gens, tout est parfaitement faux et le reste est sous contrôle". J'adore !

J'ai foncé tête baissée dans ce roman, avec beaucoup d'attentes. Or, mes ardeurs ont rapidement été calmées. J'ai même craint, au tout début, que le récit ne flirte de trop près avec la philo soporifique de "L'alchimiste" de Coelho. Et bien pas du tout !

Bien sûr, pas de retournement de situation ici, ni de tension, ni de fin de chapitres tenant en haleine jusqu'à la page suivante. C'est une histoire qui débute de façon posée, reposante presque. On se croirait dans un sanatorium, c'est dire ! Puis ça déroule.

C'est une critique, que dis-je, un réquisitoire ! mais tout en finesse. Il faut admettre, malgré tout, que lorsque l'on est personnellement hermétique à la notion de religiosité, le roman nous fait jubiler. Les modernistes sans doute un peu moins et les intégristes pas du tout. Sauf qu'au final, l'intégrisme existe t-il ? Ce n'est ni plus ni moins qu'un peuple et son culte ! Au-delà ? Rien. Les confins du culte. Point. Aduler ou mourir. En substance, c'est incontestable et non répréhensible.

Citations :
" Mais franchir les limites, c'est quoi ? Pour aller où ? "
" Le plus grand savoir du monde plie devant le grain de poussière qui enraye la pensée. "

Merci pour cette lecture !

Lolo6666 - - 51 ans - 7 septembre 2018


Un morceau de bravoure et un chef d'oeuvre d'intelligence subtilement sarcastique 10 étoiles

Ce roman de Boualem Sansal est un chef d’oeuvre de bravoure et d’ironie, qui démonte de l’intérieur, avec une lucidité caustique et jubilatoire, les mécanismes du totalitarisme islamiste. La référence à 1984 n’étouffe pas le propos de l’auteur, qui ne s’est pas contenté d’un décalque en remplaçant la dictature de Big Brother par celle de la Juste Fraternité des croyants. L’œuvre est profondément originale et ancrée dans la réalité de ce que les guerres en Syrie et en Irak nous ont révélé sur l’Etat islamique. Je suis très admiratif de l’auteur qui ose, alors qu’il réside en Algérie où la religion est un sujet très sensible, se moquer aussi ouvertement des mouvances radicales qui agitent l’islam.

Le livre est construit sous la forme d’une quête d’initiation aux allures de fable. Ati, un pauvre tuberculeux reclus dans un hospice de montagne, va effectuer une sorte de traversée des apparences qui le mènera des confins du désert jusqu’à la capitale du royaume d’Abistan, Qodsabad, au cœur des intrigues de pouvoir. Il découvrira que le monde est tissé de mensonges et d’illusions, soigneusement entretenus pour contrôler un peuple totalement asservi par la religion révélée dans le saint Gkabul, dont Abi est le prophète. La langue elle-même, l’abilang, a été transformée pour enraciner la religion dans les pensées et les actes quotidiens. Tout est religieux et, en plus de la police du régime qui surveille en permanence la population, chacun se surveille mutuellement afin que la moindre déviance soit réprimée et punie, le plus souvent par une peine de mort exécutée en public (décapitation, pal ou lapidation) devant une foule en liesse…

L’intrigue est développée peu à peu et il ne serait pas charitable de trop en dire. Je me permets juste de dire que l’auteur imagine que la dictature de Big Brother (aux accents anglo-saxons) est entrée frontalement en conflit avec une dictature islamiste (qui fait écho aux rêves totalitaires de Daesh et d’Al-Qaïda) et que, après un conflit mondial et nucléaire de grande envergure, les islamistes ont gagné et pris le contrôle de la planète. Néanmoins, il subsiste toujours une Frontière et un Ennemi, tous deux invisibles mais omniprésents dans les médias et les esprits, qui justifient une sorte d’état d’urgence permanent. En outre, l’islam a été refondé par un nouveau prophète, Abi, et par la révélation du saint Gkabul, qui a intégré quelques-uns des principes de l’ennemi (notamment l’usage de la langue comme moyen d’asservissement). Ce procédé permet aussi à Boualem Sansal de ne pas citer nommément Mahomet et le Coran, qui ne sont même jamais mentionnés dans le livre (ce qui aurait sans doute été la goutte d’eau de trop), mais le récit est écrit sous leur ombre portée.

Je n’en dirai pas plus et vous laisse découvrir le reste ! Néanmoins, je tiens à souligner que je ne comprends pas les critiques se plaignant du manque d'originalité ou de la lenteur du récit, car celui-ci ne s’enlise jamais. Au contraire, Ati est sans cesse en train de s’interroger sur ce qu’il fait ou voit et ses rencontres successives, notamment avec Koa (un linguiste, fils de notable, qui s’interroge sur les pouvoir de l’abilang), avec Nas (archéologue qui a découvert un étrange village déserté, remettant en cause l’histoire officielle de l’Abistan) puis, surtout, avec Toz (un dignitaire du régime qui, après avoir découvert qu’il existait un monde avant l’Abistan, s’est créé un musée personnel et secret où il entasse les souvenirs du 20ème siècle), font progresser le récit vers un dénouement certes ouvert mais qui répond aux interrogations du lecteur. L’écriture est également très belle et très riche, avec des variations correspondant tantôt à un style oral, où l’auteur semble épouser le point de vue d’Ati, tantôt à un style écrit, parfois soutenu, où l’auteur inscrit, implicitement mais clairement, son récit dans la perspective de l’histoire contemporaine. Mais, dans l’un ou l‘autre cas, l’auteur ne se départit jamais d’une sorte de verve subtilement caustique, comme un conteur qui ne serait pas dupe des beautés et des mystères de la fable qu’il raconte et s’amuserait des non-dits… Ce mélange d'intelligence érudite et d'humour dans l'évocation d'une réalité horrifiante m'a un peu fait songer à Ismaël Kadaré.

Je vous recopie l’avertissement de l’auteur placé en tête de l’ouvrage, représentatif du ton du récit :

AVERTISSEMENT

Le lecteur se gardera de penser que cette histoire est vraie ou qu’elle emprunte à une quelconque réalité connue. Non, véritablement, tout est inventé, les personnages, les faits et le reste, et la preuve en est que le récit se déroule dans un futur lointain qui ne ressemble en rien au nôtre.

C’est une œuvre de pure invention, le monde de Bigaye que je décris dans ces pages n’existe pas et n’a aucune raison d’exister à l’avenir, tout comme le monde de Big Brother imaginé par maître Orwell, et si merveilleusement conté dans son livre blanc 1984, n’existait pas en son temps, n’existe pas dans le nôtre et n’a réellement aucune raison d’exister dans le futur. Dormez tranquilles, bonnes gens, tout est parfaitement faux et le reste est sous contrôle.

Eric Eliès - - 50 ans - 6 mai 2018


Passionnant 8 étoiles

Rien ne fait reculer l'écrivain algérien Boualem Sansal. Ni les intimidations ni les menaces ni les mises à l'écart n'ont réussi à le contraindre au silence. Dans un de ses romans, « Le Village de l'Allemand » (2008), il n'a pas craint de comparer les islamistes radicaux porteurs d'un projet clairement totalitaire aux nazis. Et il récidive, de livre en livre, proposant, dans ce nouveau roman, sorti en 2015 et à présent édité en format de poche chez Folio, en s'inspirant du célèbre « 1984 » de George Orwell, la vision d'un monde futur totalement gouverné par des « religieux ».
Cet empire théocratique se nomme l'Abistan et tire son nom de son prophète, Abi, lui-même désigné comme le « délégué » de Yölah, puisque tel est désormais le nom par lequel on nomme le dieu unique auquel on est tenu de se soumettre. Dans ce monde nouveau, toute vie, toute pensée sont régentées par des dispositions des plus contraignantes. La surveillance d'autrui s'organise de manière radicale et la seule langue autorisée pour les échanges a été conçue pour empêcher l'autonomie de la pensée. Ce régime, née à la suite de cataclysmes, a été engendré dans la peur et se maintient par la terreur qui fait les hommes soumis. Dès que pèsent sur un individu ou un groupe des soupçons de subversion, même infimes, le verdict ne tarde pas à tomber : tout récalcitrant, quel qu'il soit, est exécuté publiquement. Hommes, femmes, enfants, tout le monde se plie au bon vouloir des « religieux », aux prières multiples qu'ils imposent, aux tenues qu'on est contraint de porter, aux interdits qui maintiennent dans l'ignorance.
En vérité, bien sûr, tout n'est pas aussi contrôlé que voudraient le faire croire ceux qui dirigent ce monde. Il existe des zones qui n'ont pas pu être encore nettoyées, des ghettos où sont parqués des renégats. Et puis, surtout, il court des rumeurs à propos de frontières. Ne reste-t-il vraiment qu'un seul monde, qu'un seul empire, l'Abistan ? N'y a-t-il pas quelque part une frontière à trouver et d'autres peuples à découvrir ?
Ces questions interdites, un individu nommé Ati se les pose. Quelqu'un ose mettre en doute la propagande du régime et partir à la recherche d'une autre vérité que celle qu'on cherche à imposer à tous les esprits. Un homme se met en quête des frontières, car il en est de deux sortes : la frontière géographique au-delà de laquelle vivent peut-être d'autres peuples, mais aussi la frontière du temps. Car, en Abistan, tout commence en 2084 et personne ne sait rien de ce qui s'est passé avant.
C'est un roman glaçant, terrifiant, qu'a écrit Boualem Sansal, comme un cri d'alarme pour nous mettre en garde contre le pire. Mais c'est aussi un roman d'espoir qui nous rappelle que, même dans un empire totalitaire comme celui qu'a imaginé l'auteur, il peut encore subsister, ici ou là, malgré la terreur, des esprits curieux, des hommes cherchant la liberté.

Poet75 - Paris - 68 ans - 22 mai 2017


Gouverner au nom d'Allah, version roman... 5 étoiles

Sur la forme : La lecture de 2084 est pour le moins fastidieuse et poussive. Boualem SANSAL nous avait habitués à un style plus dynamique. Son Français, autrefois exemplaire ("L'enfant fou de l'arbre creux"), se trouve maintenant corrompu par quelques incursions du jargon technocrato-journalistique actuel : mésusage du verbe "interpeler", emploi de l'anglais "dispatcher" au lieu du français "répartiteur", abréviations incongrues (info, manip ! Trop long d'écrire information, manipulation ?), etc.
Heureusement, la trame narrative est maîtrisée et le propos de l'auteur reste clair.

Sur le fond : A part l'avis de TANNEGUY, je trouve les critiques précédentes assez injustes envers l'auteur. La seule chose qui m'ait gêné, c'est le manque de dynamisme du roman. Mais a posteriori, il me semble que "1984" et "Le meilleur des mondes" m'avaient fait le même effet. Il est peut-être difficile d'écrire sur de tels sujets ?! "Il aurait fallu une plume affûtée et une imagination débordante pour nous offrir le «récit débridé, plein d'innocence goguenarde, d'inventions cocasses ou inquiétantes» qu’annonce la 4ème de couverture" : nous sommes bien d'accord !
Évidemment, c'est la montée de l'intégrisme islamiste qui est visée par ce roman. On ne peut accuser l'auteur de ne pas le citer nommément tellement c'est évident. Rappelons qu'ORWELL n'a jamais parlé de soviétisme dans 1984 ! Et à ce propos, ORWELL ne fustigeait pas le socialisme, mais le totalitarisme procédurier, et s'il pensait alors au régime sévissant dans les pays du pacte de Varsovie (bien loin du socialisme), le nazisme, le pseudo-communisme chinois, le fascisme, le franquisme, etc. étaient autant visés.
"Pourquoi exprimer par le roman ce que la simple constatation nous met en place ?" Parce que l'essai (Gouverner au nom d'Allah) ne suffit pas ; la lecture d'un essai rebute nombre de lecteurs qui préfèrent la forme romancée. Il est donc bien que l'auteur ait exprimé sa pensée également sous forme de roman. . "Dommage qu'il (le roman) ne va pas au-delà de la frontière du roman de fiction." Erreur : il y va puisqu'il ouvre à un vaste champ de réflexions et de discussions … Je ne sais pas si SANSAL mérite ou non les louanges journalistiques, mais il mérite notre respect d'avoir eu le courage d'écrire cet essai et ce roman de l'intérieur même du Léviathan. Souvenez-vous ce qu'il en a coûté à Rushdie.
Quant aux dystopies de ce genre, tant que l'obscurantisme ternira ce monde, nous en écrirons, nous en publierons, nous en lirons, nous en diffuserons, nous en parlerons… En même temps que quoi je ne sais pas, … peut-être quand Big Brother toussa d'avoir été trop épuisé ! La critique véhémente du totalitarisme ne sera jamais éculée… Khizrane, "éculer" n'est pas un gros mot !

Homo.Libris - Paris - 58 ans - 30 juillet 2016


Zamiatine ? Orwell ? Non, non 2 étoiles

2084 Le titre parle de lui même, une sombre copie et pas une très bonne en plus du chef d'oeuvre d'Orwell. On s'ennuie dans ce roman qui ne nous raconte rien d'autre que un 1984 transplanté au Coeur d'un pays qu'on imagine être quelque part entre Teheran et Islamabad, mais qui ne nous apprend rien ou pas grand chose. N'est pas Zamiatine ou Orwell qui veut.
Je me suis copieusement ennuyé à tel point que je l'ai abandonné à 50 pages de la fin

Pytheas - Pontoise - Marseille - 59 ans - 25 mars 2016


Effrayant 6 étoiles

L'histoire se déroule dans un monde futuriste où chacun est soumis à un dieu unique et n'a aucune idée du passé et des raisons pour lesquelles il agit. Tous pensent que l'Abistan est le seul endroit au monde et on ne peut pas leur en vouloir : seuls les chanceux sont autorisés à faire un pèlerinage et à circuler dans le pays.
Après avoir passé un an dans un sanatorium et côtoyé toutes sortes de gens, Ati remet en doute tout ce qu'il a connu jusqu'à présent, à linstar de Winston Smith. Les créateurs de l'Abistan eux-mêmes s'en désolent : « nous avons inventé un monde si absurde qu'il nous faut nous-mêmes l'être chaque jour un peu plus pour seulement retrouver notre place de la veille ».
Bien entendu, le clin d'œil au roman d'Orwell est plus qu'évident et de nombreuses références y sont faites (le novlang, l'Angsoc ... ). L'auteur, qui prône la liberté, a souhaité faire un parallèle avec l'islamisme radical ; il a d'ailleurs expliqué lors d'une rencontre littéraire fort intéressante l'islam des origines et les différents islams qu'il existe. Le sujet, qui fait l'objet de moult débats en ce moment, est ici abordé sous un angle original et amène quelques réflexions. Toutefois, il ne faut pas s'attendre à un aussi grand roman que son prédécesseur et j'avoue avoir eu des difficultés à le terminer.

Psychééé - - 36 ans - 7 mars 2016


Pas facile après tant d’autres dystopies 5 étoiles

Ati passe deux ans dans un sanatorium, dans les montagnes. Loin de Qodsabad, la capitale de l’Abistan, le régime politique est moins rigoureux et la maladie lui laisse l’oisiveté de réfléchir. Progressivement, il se met à douter du système et, de retour chez lui, va se lancer avec Koa dans une enquête sur les origines du système.

Boualem Sansal a choisi de rédiger une dystopie qui soit à la fois un clin d’œil à 1984 avec des références appuyées à Orwell et un avertissement sur les risques que fait courir l’intégrisme religieux (un islamisme à peine voilé et non plus le socialisme comme au temps de la guerre froide).
Le problème est bien là : après 1984, Le Meilleur des mondes, Globalia et bien d’autres romans du même genre il est difficile de faire du neuf. Il aurait fallu une plume affûtée et une imagination débordante pour nous offrir le « récit débridé, plein d'innocence guoguenarde, d'inventions cocasses ou inquiétantes » qu’annonce la 4ème de couverture.
Ce livre ne mérite pas les louanges journalistiques qu’il a reçu, en dépit de son actualité et B Sansal avait mieux écrit sur le même sujet (Gouverner au nom d'Allah...).

Romur - Viroflay - 51 ans - 6 mars 2016


2084 - Ennuyeux et sombre 1 étoiles

Même si ce livre amène matière à réflexion sur le monde d'aujourd'hui avec les notions de démocratie, de liberté, de frontière, il ne nous apporte pas grand chose que l'on sache déjà. Il y a quelques belles phrases et des considérations intéressantes mais cette histoire est bien sombre et au fond ne va pas dans le sens de l'Histoire même si certains aspects pourraient montrer le contraire. J'ai eu bien du mal à finir ce livre pourtant bien écrit et souvent très ironique car je me suis ennuyé pendant sa lecture. Je le conseille donc pas et je ne relirai sûrement pas 1984.

HAL007 - - 66 ans - 18 février 2016


Réalité fictive ou fiction réelle? 6 étoiles

Comment définir ce livre ? Une dystopie, à coup sûr. Orwelliène, ça ressemble. Fiction, peut-être. Actualité, là ça chauffe. Pourquoi cette invention ? Pourquoi exprimer par le roman ce que la simple constatation nous met en place ? Un décor, un Dieu et son prophète, une langue nouvelle, de l'obscurantisme à tout va, des espions à qui mieux mieux, et des victimes, aveugles et sourdes comme toutes victimes qui finissent par accepter cet environnement-là, faute de vérité, de réalité, et qui ignorent l'au delà des frontières.
C'est juste prolonger le non dit. C'est juste donner raison à Orwell mais ne pas assumer. Car Boualem Sansal n'invente pas, il raconte ce qu'il constate mais ne le dit pas, car peut être l'Abistan se met déjà en place à l'heure où le monde prévient seulement de cette possibilité.
J'ai ressenti chez l'auteur, une sorte de lassitude à tenter de faire comprendre ce qui ne l'a peut être pas été par « Gouverner au nom d'Allah », autre œuvre de Boualem Sansal, beaucoup plus explicite. L'essai ne suffit pas, alors le roman, quitte à prendre les vieilles recettes, pourtant galvaudées, du risque totalitaire dans un pays où la connaissance est réduite à néant. Ça a bien fonctionné pour 1984 et Georges Orwell, nettement moins pour 2084. Peut être parce qu'inconsciemment on ne pense plus au futur mais on s'inquiète de plus en plus pour le présent.
Un livre très bien mis en scène pourtant, et qui captive. Dommage qu'il ne va pas au-delà de la frontière du roman de fiction.
« Pourquoi ? Il existe un autre monde derrière cette frontière? » Oui. Il suffit de lire la presse pour s'en apercevoir.

Hamilcar - PARIS - 69 ans - 18 janvier 2016


Bof. 3 étoiles

bon en même temps les dystopies du genre Orwell on en a un peu marre. C'est vrai que ça passe hyper bien en ces temps difficiles, mais faut arrêter, le concept Big Brother monde totalitaire et toussa a été beaucoup trop épuisé.
Une petite étoile quand même pour l'écriture simple et sarcastique qui m'a plutôt amusée.

Khizrane - - 31 ans - 13 novembre 2015


D'Orwell à Houellebecque en passant par Salman Rushdie... 9 étoiles

Soumission ou LI-BER-TE, c'est le choix qui se présente à Ati, le personnage principal, lorsqu'il quitte le sanatorium où il vient de passer des mois difficiles à guérir de la tuberculose, un clin d'œil à Thomas Mann ?

Ce choix, il n'a pas le droit de l'exercer car son pays, l'Abistan vit sous la férule d'une dictature religieuse qui impose à ses habitants des règles d'un autre âge (au moins aux yeux d'un européen). On reconnaîtra bien sûr les régimes islamiques d'Arabie Saoudite ou d'Iran, l'auteur donnant des précisions effrayantes de la vie quotidienne en Abistan. On se demande s'il n'aura pas "droit" à une fatwa comme Salman Rushdie ; les bonnes âmes ne manqueront pas de fustiger "l'amalgame" qui y est suggéré mais d'autres, dont je suis, y trouveront matière à réflexion !

A souligner une intéressante dissertation sur la notion de "frontière" : existe-t-elle, peut-elle même exister et si c'est le cas, qu'y a-t-il au-delà ?

Un livre court, bien écrit, facile à lire mais effrayant.

Tanneguy - Paris - 85 ans - 27 septembre 2015