La croisade des enfants
de Florina Ilis

critiqué par Jfp, le 16 août 2015
(La Selle en Hermoy (Loiret) - 76 ans)


La note:  étoiles
un train (vraiment) pas comme les autres
Une plongée dans la Roumanie de l'après Ceausescu, ses nouveaux riches, ses nouveaux pauvres, sa pègre, ses enfants des rues en attente d'exil. Un pays en perdition, comme il en existe tant d'autres aujourd'hui. Florina Illis nous entraîne dans une épopée tragi-comique, à la suite d'une troupe de collégiens en partance vers une classe de mer, quelque part au bord de la Mer Noire. Le train spécial qui les emmène avec leurs professeurs va être pris d'assaut par les enfants eux-mêmes, habilement conseillés par Calman, un enfant des rues qui a réussi à se joindre au convoi. La promenade tourne à la farce, puis à la tragédie lorsque surviennent des morts pas toujours accidentelles. Le désarroi est tel dans l'administration ferroviaire et supra-ferroviaire que tout le trafic vers Bucarest est stoppé, puis de proche en proche le fonctionnement du pays tout entier dès lors que la panique s'empare des rouages de l'état à la faveur des allégations mensongères des médias sur une prétendue "croisade des enfants". De nombreux personnages s'agitent autour du "train des enfants", vont les rejoindre, s'en échapper, s'en emparer au fil de ces 500 pages d'une écriture dense et raffinée. Le parti pris de l'auteure, réincarnation tardive du "Nouveau Roman", de passer d'une phrase à l'autre sans ponctuation, d'enchaîner chaque paragraphe sur le dernier mot du précédent, peut sembler totalement artificiel. Il a cependant le mérite de plonger le lecteur dans un monde étrangement décalé, et de toujours porter l'attention vers ce qui va se passer: à chaque paragraphe achevé, à chaque page tournée, on se demande comment tout cela va finir. Polar ? Essai socio-politique ? Poème lyrique à la Cervantès ? Un peu tout cela mais à coup sûr... un chef-d'œuvre !
L'Ordre de l'Innocence 8 étoiles

Le premier mot qui me vient à l’esprit pour qualifier La croisade des enfants est : impressionnant. C’est en effet une véritable fresque que Florina Ilis peint dans ce roman, embrassant, aussi largement que possible, toutes les facettes de la société roumaine contemporaine. Pour y parvenir elle a utilisé avec une maîtrise, assez vertigineuse je dois dire, la technique du roman choral : des dizaines et des dizaines de personnages irriguent de leur chair le récit, y compris ceux paraissant les plus secondaires. Un des premiers paragraphes du livre, assimilant les destins humains à des mouvements de particules faussement aléatoires, semble livrer d’ailleurs le principe même de cette narration où à la fin chaque élément s’emboîte les uns aux autres, formant un tout indissociable, comme un boléro de Ravel.

Florina Ilis n’en reste pas à une simple chronique sociale. Elle fait de La croisade des enfants un conte mystique, en lui intégrant des éléments magiques, quasi-religieux (le pèlerinage de Irina de Moinesti, la sorcellerie de Angelica de Fernetari…), méthode habile qui rend inutile la protestation du lecteur sourcilleux devant la péripétie centrale, qui est le détournement du train par les enfants. Pour le reste il est difficile de prendre en faute l’auteure roumaine sur la crédibilité, car son décor romanesque colle éminemment, presque de façon documentaire, à la réalité de la Roumanie du vingt-et-unième siècle.

Pour arriver à brasser autant de thématiques (l’influence des médias, l’enfance, la politique, la situation des tziganes…), à manier tour à tour la gravité et une certaine forme de burlesque, à prendre le parti d’une forme pour le moins risquée consistant à remplacer les points par des virgules, sans s’y perdre, il faut du talent indéniablement à Florina Ilis, et La croisade des enfants le démontre amplement.

Fanou03 - * - 49 ans - 14 octobre 2016