L'aventurier du Rio Grande
de Tom Lea

critiqué par Frunny, le 15 juillet 2015
(PARIS - 60 ans)


La note:  étoiles
"Un homme doit vivre là ou il se sent chez lui !"
Tom Lea (1907-2001) est un artiste américain aux talents multiples. Peintre au service de l’anthropologie, célèbre au Texas où ses peintures murales ornent de nombreux bâtiments publics, il a été correspondant artistique du Life Magazine pendant la Seconde Guerre mondiale.Tom Lea est devenu écrivain tardivement, ses romans reflètent sa passion pour son pays. Connaisseur avisé de l’histoire grâce au poste occupé par son père, maire d’El Paso pendant la révolution mexicaine, Tom Lea témoigne de l’affrontement brutal entre les cultures mexicaine et anglo-américaine sans épargner ni l’une ni l’autre.
"The Wonderful Country" (L'aventurier du Rio Grande) parait en 1952 aux états-unis.

Après avoir vengé par le sang la mort de son père, le jeune Martin Brady se réfugie au Mexique où il est recueilli par la puissante famille Casas qui règne sur la région. Il sera un homme de main, en charge des basses et violentes besognes (Pistolero, vacher, convoyeur de minerais, ... )
Une interminable errance qui en font un "péon", un "gringo", un déraciné, étranger partout, nulle part chez lui...
Lors d'un convoi, il se fracture la jambe en tombant de cheval. Débute alors une longue et douloureuse convalescence, source de questionnements sur l'avenir qu'il veut se construire.
Alors que la "civilisation" gagne la petite ville de Puerto (Implantation du chemin de fer et expansion des commerces), la guerre aux Apaches s'intensifie et le rôle des Texas Ranger devient majeur.

Splendide roman, très bien écrit, avec une force et un lyrisme qui anticipent les romans de Cormac McCarthy ("De si jolis chevaux")
De magnifiques descriptions de paysages où le vent et la poussière sont omniprésents.
Récit introspectif (dans sa 1 ère partie), tourmenté, qui nous fait voir ce monde à travers les yeux de Martin Brady.
Un personnage attachant, déraciné, perdu dans un pays étranger à la recherche d'une paix intérieure.
Sa tendresse, son amitié, il les réserve pour Làgrimas, son étalon noir.

Un grand merci à Bertrand Tavernier -passionné du genre- qui (via les éditions Actes Sud) fait revivre ces grandes pages de l'Histoire américaine. Sa postface est grandiose...
Ce roman a été adapté au cinéma (1959) par Robert Parrish, avec Robert Mitchum dans le rôle titre.
Un très grand voyage littéraire.
Un western désabusé 8 étoiles

L’auteur de ce roman, Tom Lea (1907-2001), fut d’abord peintre (en particulier auteur de peintures murales) et illustrateur avant de se lancer dans l’écriture de livres de fiction. On peut d’ailleurs apprécier ses talents d’illustrateur dans ses ouvrages, entre autres dans L’Aventurier du Rio Grande, roman qui fut publié en 1952 sous le titre de The Wonderful Country (Le Pays merveilleux).
Dans la postface qu’il écrivit pour l’édition française de ce livre, le regretté Bertrand Tavernier ne tarissait pas d’éloges, tant sur le roman lui-même que sur son adaptation au cinéma par Robert Parrish en 1959 avec, dans les rôles principaux, Robert Mitchum et Julie London. Tavernier se livre à de très intéressantes analyses du roman tout comme du film, comparant les deux œuvres et soulignant leurs qualités respectives.
Pour ce qui concerne le roman, Tavernier le décrit comme une « fresque majestueuse, ample, à la fois évocation lyrique d’un monde que l’auteur, Tom Lea, connaissait si bien, et récit introspectif, tourmenté, qui nous fait voir ce même monde à travers les yeux de Martin Brady, un pistolero qui revient du Mexique et retrouve le Texas pour la première fois depuis quatorze ans. » On ne saurait mieux résumer la teneur de ce western.
Bertrand Tavernier insiste également, à juste titre, sur la composition du roman, commençant de manière « symphonique » avec la description de quatre groupes de personnages unis par leur lutte contre le vent. Les éléments, et en particulier, le vent, ou plutôt les vents « car on en rencontre de toutes sortes », sont présents de manière sensible, ce qui donne au récit une ampleur tout à fait remarquable.
Mais la perspective change en cours de route pour se concentrer sur un regard, un point de vue, celui de Martin Brady. « A partir du chapitre VI, explique Bertrand Tavernier, nous ne voyons les événements qu’à travers ses yeux, ses sensations, ses pensées, ses émotions. (…) Lea fait alterner parfois sans transition de brillantes descriptions, des monologues intérieurs tourmentés, des rêves, des visions. Il dramatise de manière aiguë, physique, l’isolement du héros, perdu dans un monde fait de rapports fragiles, d’amitiés temporaires, mises à mal par les circonstances (…), où il est difficile de croire qui que ce soit. » Le seul véritable ami de Martin Brady, son compagnon, c’est Lagrimas, son étalon noir qui, pourtant, au début du récit, s’écroule sur lui, provoquant une blessure de son cavalier, de ce fait immobilisé pendant toute la première partie du roman.
On a donc affaire à un récit désabusé qui, quand il s’autorise une lueur d’espérance, se hâte de l’éteindre presque aussitôt. Les dangers, il faut le dire, surgissent de partout, de la nature comme des hommes livrés à leurs passions mauvaises : « trahisons, racisme, intolérance, sauvagerie, amour de la violence. » Les paysages eux-mêmes, aussi grandioses soient-ils, ne tempèrent pas vraiment l’impression de désenchantement qui prédomine tout au long du récit : « ils semblent épouser la dramaturgie, écrit Bertrand Tavernier, l’éclairer, s’accordant avec les sentiments des protagonistes ». C’est le cas, surtout, quand il s’agit de Brady, « personnage passionnant, comme alourdi, déshumanisé par un passé de violence. »
En fin de compte, la question qui vient à l’esprit, c’est celle de la signification à donner au titre de ce roman, non pas le titre français mais le titre américain, The Wonderful Country. Quel peut bien être ce « merveilleux pays ». S’agit-il du Texas ou du Mexique ? Pour Robert Parrish, le cinéaste à qui l’on doit l’excellente adaptation du roman, ce pays merveilleux « était celui où l’on s’enracinait, où l’on trouvait une paix intérieure, un peu de bonheur ».

Poet75 - Paris - 69 ans - 3 septembre 2025