L'honneur de Saint-Arnaud
de François Maspero

critiqué par Saint Jean-Baptiste, le 22 juin 2015
(Ottignies - 88 ans)


La note:  étoiles
Un massacreur exemplaire
François Maspero a découvert dans la bibliothèque de son grand-père le recueil des lettres du Maréchal de France Achille Le Roy de Saint-Arnaud ; ces lettres étaient destinées à la publication dans les journaux de l'époque ; Sainte-Beuve et Louis Vieillot avaient célébré l'honneur de ce Saint-Arnaud qui devait être un exemple pour la jeunesse et ce recueil était distribué par les bons pères des collèges aux élèves méritants ; ce magnifique combattant incarnait la gloire et l'honneur de la France ; il avait même, par son courage, effacé la honte de Waterloo... Hé bien ! ce recueil de lettres... est un recueil d'abominations !

Saint-Arnaud était né en 1784, trop tard, disait-il, « pour sauver Louis XVI ou pour mourir avec lui, ce qui aurait fait de moi un héros ». Parce que toute sa vie il a voulu être un héros ; et pour ça, il a su saisir toutes les opportunités : d'abord lieutenant sous Louis XVIII, il combat en Vendée et écrit pour la presse : « qu'on me laisse quinze jours et plus un seul Chouan ne désolera notre chère patrie ».

Cet homme cherchait la gloire dans les massacres. Il participe à la Révolution de Juillet qui force Charles X à abdiquer ; mais, hélas ! le temps lui manque pour organiser la canonnade des « Trois Glorieuses » qui voit l'avènement de Louis-Philippe en 1830. Mais, immédiatement, il se met au service du nouveau monarque et parvient même à s'introduire parmi ses courtisans les plus appréciés.

Toute sa vie, il a invoqué de tous ses vœux une vraie bonne guerre européenne, comme au bon temps de Napoléon ; c'est là que son génie militaire aurait pu s'exprimer aux yeux du monde. Mais, à défaut d'une grande guerre européenne, son ami Louis-Philippe l'envoie jeter sa gourme en Algérie ; c'est là qu'il pourra le mieux exalter son goût pour le carnage...

La succession de ses grands exploits en Algérie, racontés dans sa correspondance et publiés au jour le jour, est un récital d'horreurs absolues : les populations sont massacrées, les maisons incendiées, les champs sont ravagés et le bétail tué sur place... « c'est un peu triste, admet-il, mais c'est le seul moyen de faire comprendre à ces sauvages les bienfaits de notre civilisation » !

Ces exploits sont tant appréciés à Paris que, quand arrive le coup d’État du Deux Décembre qui voit Louis-Napoléon se proclamer Empereur, il est rappelé par son ami Louis-Philippe pour empêcher une nouvelle révolution à Paris. C'est son heure de gloire ! Il va apprendre à vivre à ces Parisiens « en tirant sur eux comme des lapins ». Et, à peine arrivé sur place, il donne l'ordre à ses troupes de tourner les canons sur la foule et de tirer...

Mais, tout aussitôt, et sans état d'âme, il se met au service de Napoléon III qui n'envisage pas un instant de se priver d'un si grand homme.
Il sera bientôt envoyé en Crimée pour enfin guerroyer dans la merveilleuse guerre européenne qu'il a appelée de tous ses vœux pendant toute sa vie et il obtient enfin son grade de Grand Maréchal de France.

Il est très rare qu'un biographe raconte la vie de son héros sans finir par l'apprécier. Mais ici, on sent que François Maspero a fait tout son possible pour lui trouver une qualité... mais en vain. Pourtant cet homme a un côté tragique ; il était né dans une famille qui avait toujours servi la France le sabre à la main et il s'était nourri pendant toute son enfance des grands exploits de ses ancêtres, pour qui guerroyer et mourir au combat était le summum de l’héroïsme, de la gloire... et du savoir vivre !

Mais ce n'est pas seulement la vie de Saint-Arnaud qui est racontée dans ce livre. C'est aussi toute l'Histoire qui va de la Restauration à la fin du Second Empire... une des pages les plus tragiques de l'Histoire de France, où l'on constate, nous dit l'auteur, que tous les Français étaient toujours dans l'opposition.

On appréciera dans ce livre l'énorme fossé qui sépare les mentalités de cette époque et de la nôtre : ce qui aujourd'hui serait qualifié de crime contre l'humanité était, à l'époque, proposé à l'admiration de la jeunesse de France et des élèves des écoles chrétiennes (il n'en existait pas d'autres).

Ce livre a toutes les qualités du beau roman : il est intéressant, instructif, bien documenté, bien écrit ; et l'Histoire, entre autres de la guerre d'Algérie, est d'autant plus passionnante, qu'elle est rarement racontée. Il est vrai qu'elle n'est pas à la gloire de la France et que, par les temps qui courent, il est certainement préférable de ne pas la raconter à tout le monde, dans toutes ses horribles péripéties. Mais, par contre, à ceux qui veulent comprendre toutes les composantes du monde d'aujourd'hui, cette lecture leur fournira un éclairage bien nécessaire.