Les origines culturelles de la Révolution française
de Roger Chartier

critiqué par Falgo, le 15 juin 2015
(Lentilly - 85 ans)


La note:  étoiles
Des idées-phares pour comprendre la Révolution française
Avec ce livre, Roger Chartier ne cherche pas à recenser les causes de la Révolution, mais, après d'autres (Mornet, Furet, Richet, Darnton, etc.), à poser des questions sur les mouvements culturels qui l'ont rendue possible. S'appuyant sur Tocqueville, Chartier rejoint le camp de ceux qui estiment que la Révolution française avait été accomplie dans les décennies précédant son explosion de 1789-93. Et, avec Foucault, il se méfie de la notion d'origine, préférant parler de facteurs d'accompagnement ayant permis l'ouragan terminal. Ainsi, il en vient à dire, sacrilège!, que c'est la Révolution qui a produit les Lumières et non l'inverse, ayant cherché à établir sa légitimité sur un corpus d'auteurs et de textes sélectionnés au sein d'une foisonnante diversité.
Il s'agit donc d'un ouvrage majeur, au-delà des critiques qui lui ont été adressées, pour quiconque veut comprendre ce phénomène fondateur. Il souligne ainsi:
- la naissance d'une opinion publique, fondée sur les pensées individuelles, comme instance supérieure de jugement s'opposant à la fois aux dogmes de l'Eglise et à la toute puissance de la Royauté,
- l'appui de cette opinion sur un élargissement de l'impression et la multiplication des livres, allant de pair avec le développement de l'instruction, pour contester les vérités de la foi et les principes de l'Etat Royal (voir Beaumarchais),
- ces mouvements ont conduit les philosophes (qualifiés de premiers hommes politiques de l'époque) à produire une sorte d'érosion idéologique "qui a fait le lit de la rupture révolutionnaire" (p.119),
- l'une des conséquences majeures de tout ceci est une désacralisation de la pensée conduisant à sa laïcisation, menant à substituer la politique "à la religion comme principe d'organisation et comme cadre référentiel de la société française" (p. 154). Même si cette laïcisation "ne signifie pas pour autant l'effacement de toute référence religieuse" (p. 159),
- cette désacralisation atteint la personne du roi et son autorité, "les progrès de la mentalité critique sapent l'autorité absolue longtemps associée aux mystères de l'Etat impénétrables et intimidants " (p. 192-3). Ce phénomène remonte probablement à Louis XIV avec l'instauration de la société de cour à Versailles qui a éloigné le roi de son peuple,
- de toutes ces évolutions naît une contestation de toute autorité (seigneur, roi, église, patron, etc.), se cristallisant dans le refus de l'impôt royal et des prélèvements seigneuriaux. Le tout est conforté par le renforcement de l'influence de la franc-maçonnerie,
- la dernière question soulevée par la Révolution est celle de sa violence. Ici, Chartier élabore une thèse: elle est largement l'exercice par de nouveaux détenteurs de l'autorité de la légitimité de l'Etat pour accomplir des vengeances privées.
Sur ce dernier point comme sur les autres un tel ouvrage permet de réfléchir au déroulement de ce phénomène fondateur qu'a été la Révolution française, mais aussi à de nombreux comportements contemporains. L'Histoire rejoint ainsi la Philosophie par sa capacité à faire comprendre les motivations humaines.