Angle d'équilibre
de Wallace Earle Stegner

critiqué par Heyrike, le 25 janvier 2004
(Eure - 57 ans)


La note:  étoiles
Un bon roman, mais qui souffre de longueurs
Lyman Ward est immobilisé dans un fauteuil roulant depuis qu'une maladie des os ronge petit à petit son corps. Il dépend complètement de l'aide d'Ada, une vieille amie dont le père travaillait déjà pour le sien, qui accomplit toutes les tâches quotidiennes jusqu'au bain du soir qui soulage son corps meurtri. Sa femme l'a plaqué pour le chirurgien qui l'a opéré et de plus il sait que la mort le guette. C'est contre l'avis de son fils qu'il décide de s'isoler dans la maison des ses ancêtres pour entreprendre son ultime travail d'historien, retracer la vie de sa grand-mère, échappant ainsi d'une certaine manière au bilan de sa propre existence.

En 1876, Susan Ward part rejoindre son mari, ingénieur minier, en Californie à la conquête d'un rêve à l'Ouest d'une société engoncée dans un conformisme typique de cette époque Victorienne. Malgré tout c'est avec regrets qu'elle quitte un univers où elle côtoie depuis plusieurs années les personnalités importantes des milieux artistiques et culturels, parmi lesquels elle est en passe de s'imposer grâce à ses talents d'illustratrice qu'elle exerce pour le compte d'éditeurs. Mais entre son amitié saphique avec Augusta, qui n'ira jamais au-delà de quelques déclarations passionnelles et qui s'achève par le mariage de cette dernière avec un ami commun, et sa rencontre idyllique avec Oliver Ward, un jeune homme idéaliste qui aspire à tout mettre en œuvre pour exporter la civilisation jusque dans les contrées de l'Ouest sauvage, Susan se résout à partir à l'aventure.

Au début les évènements semblent se dérouler conformément à ses espoirs mais au bout d'un an les rapports entre son mari et le directeur de la mine s'enveniment. Oliver ne supporte plus les méthodes dictatoriales du directeur envers les ouvriers et en homme qui place l'honnêteté et la loyauté au-dessus de tout il décide de rompre son engagement. A partir de ce jour le couple Ward connaît des situations de plus en plus précaires au gré des nouveaux postes qu'occupe Oliver. Celui-ci ne cesse de croire en des idées très éloignées des réalités qui animent les politiciens et les financiers, ceux-ci préférant investir avec rapacité les territoires les plus reculés sous condition de profit immédiat. Laissant l'utopie des pionniers s'évanouir dans les immenses étendues arides de l'Ouest.

Petit à petit Susan voit ses illusions s'effondrer les unes après les autres et se heurte régulièrement au caractère taciturne et obstiné d'un mari fasciné par des projets de plus en plus fous. Ce mari qu'elle comprend de moins en moins et qui souvent lui fait honte par son manque de raffinement et de culture, elle qui aurait tellement souhaité rayonner au sein d'une communauté aux sujets de conversations dignes des plus grands salons de la côte Est. Partagée entre sa volonté de soutenir son mari, même s'il lui en coûte et un immense désespoir qui l'étouffe, elle cède à la tentation d'une aventure avec un proche collaborateur de son mari. L'angle d'équilibre ainsi rompu provoque un drame dont le couple Ward ne sortira pas indemne.

Si d'emblée ce roman se présente comme étant un magnifique portrait de femme et une démythification d'une épopée qui n'avait de glorieuse que l'enrichissement sans vergogne des spéculateurs, très vite il présente des longueurs qui provoque un désintérêt croissant pour l'histoire. En fin de compte un roman bien écrit et un sujet qui n'est pas inintéressant en soit, mais qui aurait très bien pu être condensé en 300 pages, au lieu d'un pavé de 700 pages quelque peu indigeste (mais j'accorde tout de même 3 étoiles).
La deuxième vie 7 étoiles

Printemps 1970, Californie. Lyman Ward, la cinquantaine, historien universitaire, est cloué sur un fauteuil roulant par une terrible maladie des os et une jambe amputée. Sa femme vient en plus de le larguer après 30 ans de mariage…
Au désespoir de ses proches, Lyman vient de s’installer dans la vieille maison familiale où il a grandi. Il décide d’écrire une biographie de sa grand-mère Susan Ward, dessinatrice et romancière de renom.
Fille de riches fermiers Quakers de l’est, Susan a fréquenté dès sa jeunesse l’intelligentsia du New York des années 1860. Après avoir vécu dans l’univers feutré et sophistiqué des salons victoriens, elle s’est mariée avec Oliver, un ingénieur des mines aux manières simples.
A peine marié, le jeune couple est parti s’installer en Californie, entamant là une vie d'aventures pour Oliver, d’exil pour Susan…

Aujourd’hui plutôt oublié, Wallace Stegner est un immense écrivain. Né en 1909, père de l’école du Montana, il est un des pionniers de la dissection des angoisses existentielles de l’adulte occidental moderne tout en étant le défenseur plutôt conservateur de valeurs traditionnelles face à la vague Hippie.
Cet espèce de Clint Eastwood littéraire a une superbe façon d’aborder des sujets comme les conflits de génération, le couple, le sens de la vie dans l’épreuve … Ses personnages de vieux grognons aigris et amers (comme Lyman Ward) sont fabuleux.
Paru en 1971, prix Pulitzer 1972, « Angle d’équilibre » est sans doute le roman le plus ambitieux écrit par Stegner. 700 pages, deux récits parallèles, une multitude de sujets abordés et finalement … un résultat plutôt décevant.
L’écriture est toujours d’une grande richesse. C’est beau, fort, émouvant, mais on a parfois l’impression que le Maestro ne sait pas toujours quoi faire de ce qu’il a créé.
Au fil des pages on ressent des longueurs que je n’avais jamais rencontré dans ses autres romans (j’en suis quand même au quatrième).
Pour la petite histoire, une polémique a opposé Stegner aux héritiers de Mary Hallock Foote, qui a servi de modèle à Susan Ward, avec des accusations de plagiat de l’abondante correspondance de la dame de l’Ouest. Le fait de partir d’un personnage réel aurait bridé sa créativité ?

Bref, « Angle d’équilibre », à la dynamique incertaine, n'est pas le roman de Stegner le plus abordable. Si vous voulez découvrir cet auteur passionnant, commencez plutôt par « La vie obstinée » puis « Vue cavalière ».
A lire en connaissance de cause.

Poignant - Poitiers - 58 ans - 27 août 2013


Le temps des désillusions 8 étoiles

Je serais moins sévère qu'Heyrike, moi j'ai beaucoup aimé ce roman et je n'ai pas trouvé qu'il souffrait de longueurs (même s'il y en a quelques unes) propres à susciter le désintérêt.
Le thème m'avait de toute façon conquise (les désillusions et le manque d'équilibre de nos vies), de même que l'écriture. D'ailleurs, je m'étais décidée à le lire parce qu'il était recommandé par Jim Harrison, et d'habitude, je n'ai pas à me plaindre...;-)
Une petite précision : Stegner, (décédé dans les années 90) fut le précurseur de l'école du Montana, admiré et porté aux nues par Jim Harrison et Thomas McGuane. A noter aussi qu'Angle d'équilibre a obtenu le prix Pulitzer en 1971.

Folfaerie - - 56 ans - 27 janvier 2004