Dée
de Michael Delisle

critiqué par Libris québécis, le 16 mai 2015
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Le Rat des champs, le Rat des villes
Michael Delisle est très sensible à l'étalement urbain. Avec Dée, il continue son investigation, entreprise avec Fontainebleau, du phénomène qui transforme le Québec en immenses parcs d'habitations construites selon les mêmes modèles architecturaux. Cette fois-ci, l'auteur examine une dynamique plus complexe. Il dirige son projecteur sur ceux qui doivent abandonner leurs fermes pour continuer ailleurs leurs activités, en l'occurrence l'élevage de porcs par la famille Provost. Leur fille Audrey, surnommée Dée, perd ainsi son paysage d'enfance.

Élevée près d'une soue, l'héroïne a été marquée par cette atmosphère fruste, en plus d'avoir été abandonnée à elle-même, voire même poussée par ses parents vers les adultes obligés de la maison comme le vétérinaire. Investie d'une éducation primaire, Dée va vers les hommes, sans méfiance, obligeant ainsi sa mère à la marier à quelqu'un du double de son âge. Pour elle, l'amour était au rendez-vous de cette union arrangée. Elle en était même heureuse, d'autant plus que son mari lui offrait la possibilité d'habiter l'une de ces nouvelles maisons proprettes de la banlieue. Avec ce mariage commence la deuxième partie du diptyque. Vivre en banlieusarde exige une préparation que Dée n'avait pas reçue. C'est d'autant plus difficile qu'elle réalise que son mari ne l'aime pas. Elle se replie alors sur elle-même après quelques tentatives pour sortir de son cocon. Avec son fils, elle s'enferme chez elle, coupant tout lien avec l'extérieur. Abandonnée de tous, elle devient rapidement neurasthénique.

Faisant jouer la dynamique du rat des champs et du rat des villes de La Fontaine, l'auteur a tracé le portrait d’un Québec qui se détourne de sa vocation agricole. C'est d'autant plus tragique que les nouveaux citadins perdent leurs repaires avec cette mutation qui les isole dans des parcs d'habitations. Avec une plume dépouillée, Michael Delisle examine la situation sans juger ces hordes humaines, qui vivaient jadis heureuses autour des champs qu’elles cultivaient.