Les déshérités : Ou l'urgence de transmettre
de François-Xavier Bellamy

critiqué par Alceste, le 16 mai 2015
(Liège - 63 ans)


La note:  étoiles
Stimulant
Les déshérités


Les déshérités, ce sont ces jeunes générations qui n’ont pu bénéficier de la transmission de la culture et du savoir de leurs prédécesseurs, en raison des options pédagogiques prises par l’Éducation nationale en France, qui prône la « construction du savoir par l’élève » et rejette tout enseignement frontal.
Ce constat, François-Xavier Bellamy, professeur de philosophie, l’a éprouvé dès sa formation où on lui expliquait qu’en faisant acte d’enseignement, il faisait acte de « violence, pure, arbitraire, destructrice ».
La première partie de son ouvrage cherchera les racines de cette conception de l’enseignement chez trois auteurs qui seront mis sur la sellette : Descartes, qui avec sa doctrine de la « table rase », semble avoir disqualifié toute référence à un héritage. Vient ensuite Rousseau, qui a cru à l’existence du bon sauvage, et par conséquent à la perversité de la culture, dont il faut préserver l’enfant par une éducation tout entière tournée vers la nature et singulièrement vers sa nature.
Enfin, plus contemporain, le penseur le plus responsable – sinon le plus coupable, est Bourdieu, dont la doctrine est exposée ici de façon lumineuse. L’école, machine à reproduire les inégalités, a fait de la culture un marqueur social. La disparition de celle-ci garantira donc le caractère démocratique de celle-là.
Ces trois théories mal digérées par un système scolaire l’ont plongé dès lors dans une sorte de dépression, de prostration : si l’acte de transmettre n’est plus légitime, que reste-t-il à l’école ?
Dans la deuxième partie de son ouvrage, François-Xavier Bellamy prend courageusement la défense de la culture, montre sa nécessité et ses bienfaits.
Il conteste l’expression « bagage culturel », chose encombrante, qu’on doit avoir le plus petit possible, au profit d’une conception de la culture qui nous permet de « devenir ce qu’on est », médiation indispensable entre le réel et nous-mêmes. Il appelle à la rescousse l’enfant de l’Aveyron, dont l’existence prouve a contrario la nécessité d’un apprentissage et d’une transmission culturelle. Indifférent à son environnement, l’enfant sauvage montre bien que « tout est uniforme pour celui qui ignore, tout est singulier pour celui qui connaît ».
De belles pages sont consacrées à la défense de la langue, qui, non, n’est pas « fasciste », mais outil d’émancipation avant tout. Défense du livre également, que la numérisation des données ne rendra pas inutile. L’auteur, « auctor » est celui qui permet d’ « augmenter » son être propre.
À côté de cela, l’école d’aujourd’hui est montrée comme un prodigieux réservoir d’ennui, et bombardée de missions hors de ses compétences, et qu’elle accomplirait bien plus facilement en se livrant à ce pour quoi elle est faite : transmettre un héritage. La question du genre, la violence urbaine, voilà des points qu’un peu de culture résoudrait facilement. L’école d’aujourd’hui n’a jamais été aussi moralisante.
Bien sûr, le ton est celui de la déploration des maux de ce siècle, ce qui est parfois facile, mais il ne s’agit pas d’un xième pamphlet où quelques formules fortes sont délayées aux dimensions d’un ouvrage. C’est bien d’un discours raisonné et structuré qu’il s’agit, et les ouvertures positives sont nombreuses, ainsi que les questions à débattre, car des points d’interrogation demeurent : pourquoi l’influence de Descartes et Rousseau se ferait-elle sentir depuis quelques décennies seulement ? L’enseignement d’aujourd’hui ne continue-t-il pas de faire la part belle à la simple restitution de connaissances ?