Hikikomori
de Josée Marcotte

critiqué par Libris québécis, le 4 mai 2015
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Donner sa vie pour des jeux vidéo
D’aucuns ne voient les Japonais que dissimulés derrière un appareil-photo. Ils captent le monde grouillant alors qu’ils vénèrent la solitude au point de la glorifier comme l’état de vie idéal. Mais que de morts cachent les visions fantasmagoriques de sociétés utopiques ! Si jadis on offrait sa vie à Dieu dans les arènes romaines, pourrait-on dire qu’aujourd’hui on donne sa vie pour profiter du plaisir inhérent à son assuétude ? Mourir d’un surdosage de produits hallucinogènes, mourir de sa témérité en s’adonnant à un sport dangereux, mourir de ses illusions.

Le roman de Josée Marcotte couvre la funèbre réalité escamotée par les jeux vidéo. Elle s’est intéressée particulièrement au phénomène hikikomori qui frappe le Japon comme une grippe aviaire. Que de jeunes renoncent aux pompes de la société pour devenir les suppôts de la claustration ! Comme les cloîtrés des monastères qui consacrent leur vie à la prière, ils se détournent des plaisirs terrestres au profit d’une seule activité ludique. Ils transforment leur chambre en sanctuaire où se rassemblent virtuellement tous les geeks névrosés pour partager leur amour du jeu. Ce ne sont pas des gamblers anonymes qui cherchent à se débarrasser de leur assuétude, mais des gamers qui délaissent tout au péril de leur santé. En plus de se couper de toutes relations sociales, ils négligent l’obligation de se nourrir afin d’employer le maximum de temps à jouer leur vie en réponse aux impératifs de leur dépendance.

C’est dans ce contexte qu’est décédé le frère jumeau de Marie, l’héroïne du roman, qui se rend au Japon afin de connaître les joueurs qui ont croisé le fer avec lui avant sa mort. Le deuil passe par ce séjour au pays du Soleil levant qui s’avère plutôt celui du Soleil couchant. Pour illustrer le phénomène hikikomori dans toute son ampleur, l’auteure a mixé la perte d’un frère à la quotidienneté d’une jeune femme aux prises avec son démon, qui, de plus, nourrit l’âme de sa proie avec des mangas (BD) et des animes (films d’animation). Heureusement, Kengo fait tout en son pouvoir pour libérer sa cousine de cet enfer. Mais la crainte de l’extérieur est un obstacle de taille à la réinsertion sociale.

Ce roman nous familiarise avec une culture de moins en moins marginale. Une culture qui vole la vedette au sujet principal, soit le deuil de l’héroïne. Une héroïne qui, par ailleurs, est séduite autant par le Japon que par Kengo, son cicérone.

La thématique est très intéressante et très instructive, mais elle laisse le lecteur sur sa faim. La structure n’est pas sans être responsable de cette sensation. L’œuvre est découpée en chapitres de deux ou trois pages, présentant des tranches de vie comme dans une télésérie. Le procédé prive ainsi le récit de son homogénéité. C’est sans compter que l’écriture un peu torturée mitige le plaisir de lire.