L' archipel en feu
de Jules Verne

critiqué par Bookivore, le 1 mai 2015
(MENUCOURT - 42 ans)


La note:  étoiles
On se fait un Grec ?
"L'Archipel En Feu" est un court roman (l'édition que je possède, un pack édité chez Lidis/Gründ, de 1961, proposant le roman avec un autre Verne, "L'Etoile Du Sud", fait 475 pages, et "L'Archipel En Feu" en fait environ 210 sur ces 475) que Jules Verne, notre cher Julot, a publié (d'abord en feuilleton puis en volume) en 1884. Faisant partie de la fameuse série des "Voyages Extraordinaires" (au final, bien peu de romans de Verne n'en font pas partie), il est un des rares romans historico-politiques de son auteur avec, notamment, "Nord Contre Sud" et "Famille-Sans-Nom".

Ce n'est pas un des romans les plus connus de Verne, mais c'est une incontestable petite réussite dans le genre, un roman qui mérite amplement la (re)découverte. L'action se passe dans les îles de l'archipel grec, dans la mer Egée, en 1827. Rien que le titre du roman, quand j'étais gosse, me donnait envie, au même titre que d'autres titres de romans de Verne (que, comme "L'Archipel En Feu", je n'ai lus que tardivement), "Un Drame En Livonie", "Le Pays Des Fourrures", "La Jangada"...

L'action, donc, se passe en 1827 dans l'archipel égéen, qui est en proie à de violents affrontements entre les Grecs et les Turcs. Les premiers sont soutenus dans leur combat par les philhellènes (des combattants issus d'autres nations, venus en renforts). Nicolas Starkos, lui, est un Grec de naissance, mais alors que sa mère (et feu son père) est farouchement dans le camp des défenseurs de la Grèce, lui est passé dans le camp ottoman. Il est même devenu un redoutable pirate, qui se fait surnommer Sacratif et sème la terreur dans l'archipel. Starkos vise à se marier avec Hadjine, la fille de son banquier (qu'il manipule à des fins véreuses), Elizundo. Mais la belle est déjà promise à Henry d'Albaret, un fringant officier de l'armée française, philhellène de surcroît ; ce mariage annoncé entre Henry et Hadjine est un mariage d'amour, les deux tourtereaux s'aiment vraiment. Mais voilà, Elizundo est riche, Starkos le sait, et pour obtenir cet argent, tout lui sera bon...
Le tout, sur fond de guerre implacable entre Grecs et Turcs.

Un court, donc, mais vraiment remarquable roman, qui se lit d'une traite ou presque, regorge de suspense, et est vraiment superbement bien écrit. Après, ce n'est pas non plus le sommet absolu de Verne, mais parmi ses romans, disons, 'mineurs' (secondaires, plutôt), "L'Archipel En Feu" est vraiment un des plus enthousiasmants. Une bien belle surprise de lecteur, donc ! A noter que le roman fut traduit en grec du vivant de son auteur, et déclenchera là-bas une vive polémique, Verne y décrivant les habitants d'une petite île de l'archipel comme des pirates, bandits illettrés, ce qu'ils ne sont évidemment pas tous en réalité !
Les Pirates de la mer Egée 6 étoiles

L'Archipel en Feu, comme le Serpent de Mer que j'ai lu un peu auparavant, m'ont rappelé à quel point avant d'être un auteur "d'anticipation", Jules Verne était un géographe (lire Jules Verne, voyageur extraordinaire, si vous en doutiez encore). Ici par exemple c'est un périple commenté des îles grecques auquel nous avons droit, ce qui est très dépaysant je dois dire. L’œuvre a également le mérite d'évoquer la guerre d'indépendance de la Grèce, moment d'histoire qui m'était assez étranger, et où je découvre avec surprise la part prise par les puissances occidentales (dont la France) dans ce conflit.

Il y a en outre un véritable parfum d'aventure, avec ce personnage de pirate, Nicolas Starkos, bien tourmenté et cruel comme on les aime, dont on ne connaîtra malheureusement jamais la cause de la traîtrise (il travaille avec les turcs) et qui n'aura pas droit à une rédemption (ce qui entraîne d'ailleurs une fin un chouia fade): c'est dommage, il aurait mérité sans doute d'être encore plus développé. Mais bon, je ne fais pas la fine bouche, car c'est presque une véritable "tragédie grecque" à laquelle on a droit: le fils maudit par sa mère, une héroïne aimée par deux hommes qui se détestent, des scènes marquantes (la vente aux enchères du marché aux esclaves, la bataille finale, morceau de bravoure assez époustouflant)... La fascination de Jules Verne pour l'univers maritime est également particulièrement éclatante. On sent qu'il prend un réel plaisir à décrire les manœuvres ou la description des différentes sortes de navires, comme le montre ce dialogue presque comique des habitants de Vitylo qui discutent sans fin de la nature du navire de Nicolas Starkos ("- C'est un chébec ! disait l'un des marins", "- Eh non répondait un autre, c'est une pinque", etc...)

Même si aucun protagoniste direct de l'histoire n'est turc, en arrière-plan se profile aussi la cruauté de la guerre à travers les exactions et les massacres commis par les deux camps.

Fanou03 - * - 49 ans - 20 juillet 2022