Un matin, tu te réveilles ... t'es vieux !
de Michel Fréchette

critiqué par Libris québécis, le 30 avril 2015
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
La Canitie qui tue
La société brandit la possibilité d’une éternelle jeunesse. La canitie est donc devenue une honte qui disqualifie les aînés à la bourse de la vie. Certains considèrent même que ce sont des indésirables coûteux à l'État que l’on devrait aider à mourir le cas échéant Avec son essai, Droit d’aînesse : contre tous les âgismes, Jean Carette s’est attaqué aux préjugés afférents au phénomène de la vieillesse. Le romancier Michel Fréchette lui a emboité le pas en exploitant ce filon pour souligner les capacités encore appréciables des gens de l’âge d’or.

Comme bénéficiaires d’un hospice, les personnages sentent qu’ils ne représentent qu’un poids négligeable aux yeux du personnel. C’est dans ce contexte que quatre vieux - deux hommes, deux femmes - décident de fuguer après une minutieuse préparation, qui doit laisser croire à un enlèvement. Ils quittent Montréal pour une île de la baie des Chaleurs. C’est avec humour que l’auteur souligne moins les limites imposées par la vieillesse que les ressources qu’elle offre encore. Comme le mentionne ce passage cité de mémoire : « À deux, on peut faire un adulte fonctionnel. À quatre, un adulte exceptionnel. » Les carences étant compensées par la force des autres.

Le fil conducteur passe par Philippe Dumouchel qui raconte sa vie amoureuse. Marié, divorcé, amant occasionnel, il a connu toute la gamme des aventures galantes. Le roman trace en fait le portrait de l’homme, dont les liaisons se soldent souvent par un échec au grand dam des enfants. C’est à quatre-vingts ans que se présente pour le héros sa dernière chance. Il souhaite ne pas la rater en organisant la fameuse fugue avec sa belle Julie de quatre-vingt-deux ans. Comme pour un diptyque, l’auteur démontre d’une part que les besoins ne meurent pas avec l’âge et qu’ils peuvent être satisfaits dans une large mesure. D’autre part, le comportement amoureux de Philippe éclaire éloquemment les causes qui mènent à la rupture et finalement à l’hospice, où se terre la solitude des esseulés qui peuvent dire « je t’aime encore » à l’instar de Jacques Brel.

C’est avec une plume vive et amusante que Michel Fréchette a créé une intrigue qui suscite constamment l’intérêt par des rebondissements des plus imprévisibles. Comme Jean-Pierre Boucher dans Les Vieux ne courent pas les rues, il a écrit un roman fort révélateur des ravages du temps, mais aussi un roman fort révélateur des préjugés qui réduisent les aînés à de la figuration.