Le plan déchiqueté
de Kōbō Abe

critiqué par Fanou03, le 27 avril 2015
(* - 49 ans)


La note:  étoiles
Les villes tentaculaires
Employé par une agence de détectives privés, le narrateur est chargé de travailler sur la disparition d’un certain Monsieur Nemuro. La femme du disparu ne lui donne que quelques maigres indices. Bien vite cependant l’attention de l’enquêteur est attirée par un mystérieux personnage qui semble avoir une grande importance dans cette affaire : le propre frère de Madame Nemuro, qui a tout fait pour qu’elle ne signale pas immédiatement la disparition de son époux.

Ce roman, quoique d’une lecture pas toujours aisée sur le plan narratif, m’a beaucoup marqué, et m’a permis de découvrir l’œuvre de Kôbô Abé. Le Plan déchiqueté est en effet un récit pour le moins intriguant. Il faut dire que Kôbô Abé s’inscrit tout à fait dans le courant des « transfictions » chères à Francis Berthelot à sa Bibliothèque de l'Entre-Mondes. Le Plan déchiqueté s’ouvre d’abord comme un polar traditionnel. Mais imperceptiblement, dans une lente dilatation de la réalité, le mécanisme de l’enquête menée par le narrateur (on ne connaîtra jamais son nom) va se gripper, le sens même de la recherche du disparu va devenir confus. L’espace-temps urbain qui structure le décor se trouble au fur et à mesure des pages, devenant une mise en scène de théâtre, un spectacle, où d’étranges jeux d’ombre et de miroirs amènent à la confusion des identités.

Le « triangle amoureux » qui se met en place entre l’enquêteur, sa cliente et le frère de celle-ci participe à l’étrangeté du roman, définissant aussi bien des points fixes (l’appartement Mme Nemuro) et les lignes de fuite (le frère, qui sans cesse semble se dérober). Les autres points de repères forment des balises banales et familières, neutres et indifférentes (parkings, bars, siège de société...). Les personnages secondaires, comme des figurants plus ou moins doués, ont l’air de jouer un rôle auquel ils ne croient guère, qu’ils peinent à incarner. L’écriture de Kôbô Abé, distanciée, froide, blafarde parfois comme la lumière des lampadaires de la ville sous la pluie génère un malaise indéfinissable. L’enquête ne devient alors plus qu’un prétexte à errer dans cette ville sans nom, à la géographie indistincte, altérant peu à peu la santé mentale du narrateur et son esprit en perdition.