Chausson : une dignité ouvrière
de Daniel Grason, Bernard Massèra

critiqué par Colen8, le 15 avril 2015
( - 83 ans)


La note:  étoiles
Piteuse histoire, après les Trente Glorieuses
Les témoignages de quelques dizaines de salariés syndicalistes et militants politiques recueillis à posteriori donnent un éclairage unique à la vie d’une grande entreprise automobile du 20ème siècle jusqu’au dépôt de bilan de 1993. Partie d’un simple atelier de chaudronnerie fondé par deux frères Chausson, la société s’est développée jusqu’à compter plus de 15000 personnes et devenir leader en radiateurs et équipements thermiques, en véhicules utilitaires légers après l’avoir été en cars et autobus. L’histoire est abordée sous l’angle des luttes revendicatives sans en exclure les rivalités entre syndicats, les grèves dures et longues, la violence des rapports avec le patronat, pour, disent les ouvriers faire reconnaître « leur dignité ».
C’est un document rare qui fait revivre toute l’histoire parallèle à celle de Chausson en reproduisant verbatim, photos, tracts, affiches, banderoles et bouts d’articles publiés par l’Humanité et la Voix Populaire. Les guerres d’Indochine et d’Algérie donnent lieu à la mobilisation des partis de gauche entraînant avec eux les syndicats. C’est aussi vrai pour des événements extérieurs : Yougoslavie, Hongrie dans les années 50’s, plus tard Chili, Pologne. Des protestations contre le Maroc, soutenues par les milliers d’ouvriers immigrés marocains, sont étroitement surveillées par leur Ambassade. Grèves et débrayages se succèdent sans discontinuer avec parfois une dimension plus politique que sociale. Elles sont suivies de répressions sans ménagements lors des manifestations de rues, parfois de massacres. Ce sont des périodes agitées. La grève de 2 mois en 1975, avec occupation des usines dénonce les horaires, les salaires, l’hygiène, la sécurité. Les ouvriers se voient alors opposer des milices de « gros bras » envoyées par les instances patronales. Menaces, procès suivis de condamnations, expulsions des immigrés, licenciements sanctionnent les protestataires.
Arrivée au faîte, se croyant invulnérable, plusieurs raisons expliquent la fragilisation progressive de la société, et son lent naufrage qui dure une vingtaine d’années : manque d’innovations et d’investissements, crises pétrolières des années 70’s, déménagement du siège dans des locaux luxueux surdimensionnés. Enfin, les héritiers des fondateurs cèdent leurs parts aux deux constructeurs Renault et Peugeot, à la fois concurrents sur certains produits et les plus gros clients sur d’autres, qui privilégient leurs groupes respectifs. Commence alors la « vente à la découpe » : des activités sont délocalisées, des usines revendues avec leurs effectifs, des suppressions de postes traduisent la désindustrialisation voulue, organisée, sous prétexte de manque de compétitivité. Malgré la fin annoncée, ces salariés ont tout tenté pour obtenir traitement social et préretraites du personnel âgé, reclassement pour d’autres. Ils ont continué à y croire quand il n’y avait plus d’espoir et en ont retiré une immense fierté.