Derniers témoins
de Marcel Migozzi

critiqué par Eric Eliès, le 14 avril 2015
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Poèmes courts, d'une grande densité, sur la vieillesse du corps et la proximité de la mort
Ce recueil, très proche dans sa tonalité de « Des heures froides » ou « Tout est dans perdre » (dont j’ai déjà proposé des commentaires de lecture sur CL), décline toutes les nuances des thèmes, quasi obsessionnels dans l’œuvre poétique récente de Marcel Migozzi, du deuil et de l’usure du corps. Les poèmes, présentés deux par page, sont courts et d’une grande densité, presque impénétrable tant l’écriture est épurée, souvent sèche d’adjectifs et de verbes conjugués pour mieux dire la vérité du deuil et de l’agonie (qui transforme la chambre d’hôpital en mouroir redouté) :

dans ces draps de clinique
qui aura le pouvoir

côtes cardées jusqu’au cuir
vieille sueur les yeux
s’emplissant de blancheur

***

le dernier ange en blouse blanche
reviendra pour la toilette

avec les derniers clous


L’écriture de Marcel Migozzi atteint ici à une forme de quintessence, épousant la forme de l’os dont la pointe affleure sous la peau desséchée. Les blancs entre les mots (que je ne parviens pas à restituer dans les poèmes recopiés) ménagent des pauses, comme des essoufflements ou des répétitions du silence final, mais évoquent aussi l’image d’une lente érosion et d’un effritement qui ronge la compacité du poème. Pourtant, Marcel Migozzi distille à quelques rares moments une forme d’humour subtile (dont je le savais capable, ayant lu dans un recueil ancien publié chez Chambelland ce vers évoquant « deux coups de pied / au cul / d’un souvenir / chaussant du mille neuf cent soixante-huit ») mais macabre, qui joue sur le double sens des mots (ici « crâner ») pour révéler l’omniprésence de la mort :

inutile de crâner
devant l’apparition de la mâchoire et rien
autour

sinon la terre entre les dents


Ce recueil est également plus complexe que « Des heures froides ». La première partie, intitulée « les ratures » retourne contre elle-même l’écriture poétique et s’interroge sur l’inanité de chercher à conserver sur papier les traces de souvenirs périssables comme la vie elle-même. La page blanche est un gouffre, aussi béant et vorace que la terre qui engloutira le corps après le décès.

poèmes bientôt morts
saletés endeuillées
corbeilles pleines de non-sens
de c’était donc ça la vie

***

corriger le poème croire
en pleine chair verbale avoir
trouvé le dernier mot

quelques heures plus tard dépouillement
et os
sur os

***

écrire encore mais pourquoi

la page boit
jusqu’au plus blanc


La dernière partie, intitulée « Le bouquet », rompt avec le ressassement de la déliquescence qu’affronte le corps vieillissant. Elle évoque la complicité intime que les corps (devenus pluriel par l’amour qui les a unis) ont connue et dont ils se souviennent avec une ferveur ardente, presque érotique dans deux ou trois poèmes, qui les maintient en vie.

tous les dieux ont même squelette
et nous la chair

l’adorable
la vivante

que les os n’incarcèrent pas

***

on n’en sort pas l’amour
la mort se font de l’ombre

poème encore inachevé

mais nos corps sont toujours en voie
de transformation amoureuse