Le jardin de Peter Pan
de Pierre Gobeil

critiqué par Libris québécis, le 30 mars 2015
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Renaître Madelinot
Le pays est mal foutu depuis le moratoire sur la pêche à la morue. Mais quand un vol de canards joyeux valsent sous un ciel bleu, le cœur se remet à l’ouvrage avec les premiers ramages du printemps, qui annoncent aussi l’enfant sans père de la maman indienne. Les Micmacs ont vu que les Îles-de-la-Madeleine ne sont pas des tremplins, mais des socles capables de résister aux chocs de l’insularité.

Qu’en est-il justement de cette vie balafrée par un temps enfilé à la mort des choses et des gens ? Adieu Maurice le rêveur, emporté par une mer endiablée ! Adieu héros de ce roman, léguant à son Pout ses calepins, qui traduisent bien humblement les maux des Madelinots, rivés à leurs amours d’antan tout en rêvant d’un continent que leurs îles cachent comme un écran

Pars ou reste, voilà le dilemme d’un peuple fort que le vent balaie vers le large en quête de crabes et de homards. Et quand vient la nuit des cages pour rendre hommage aux pêches miraculeuses, on danse sur les dunes mordorées de cassonade. Mais un incendie joue au trouble-fête en brûlant le rêve d’un héros en instance de devenir Madelinot. Au volant de son Dakota Cabin Cab tout en écoutant du Johnny Cash, il déroule le ruban d’asphalte gris de la 199. C’est l’heure de laisser ceux que l’on aime et les chiens vociférant leur peine dans la benne des pick-up.

L'oeuvre trace la géographie des lieux et la psychologie d’habitants hésitant entre le temps qui reste ou qui passe. Mais, au fait, tout trépasse car le temps ne dépasse jamais sa mesure. Il restera les quelques mots de ce roman, qui décrivent le jardin d’un royaume que Peter Pan aurait été heureux d’habiter, car, parfois, sur l’Étang des Caps, le temps « suspend son vol ». Si Joyce a donné naissance à l’Irlande en quelques mots, Pierre Gobeil a brillamment réussi, malgré son écriture torturée, à réinventer des îles mythiques auxquelles son héros tente de s’identifier.