Le crucifié de Keraliès
de Charles Le Goffic

critiqué par Page , le 31 mars 2015
(Rennes - 35 ans)


La note:  étoiles
Quand on crucifie l’ennemi de Jésus
L’on sait que malheureusement à certains moments de l’Histoire une religion fut avancée pour justifier le massacre d’un peuple ou d’une partie d’un peuple ; on pense aux Arméniens en 1915 et aux Cathares au XIIIe siècle. Ici cette même religion est instrumentalisée dans des buts strictement personnels.

On est ici dans une rivalité entre deux frères, vivant dans la frange maritime les Côtes-du-Nord (devenues Côtes-d’Armor). Le récit se situe dans la presqu’île Landrellec, sur la vaste commune de Pleumeur Bodou, dont la devise est "Dreist mor ha douar " ce qui signifie en breton "Par-delà mer et terre". L’un des frères Thomassin est devenu fonctionnaire, c’est un modèle d’homme ayant quasiment toutes les qualités, tandis que l’autre vivant, des revenus d’un débit de boisson, abuse du vin et cause bien des soucis dans la gestion des comptes du ménage à sa dévote d’épouse. Cette dernière passe d’ailleurs plus de temps en manifestations de son catholicisme qu’en tâches ménagères.

Tous deux pensent que le mariage de Thomassin, avec une jeune femme qu’ils méprisent, a été arrangé par une sorcière, réputation qu’a une personne marginale au village. Pour empêcher ce mariage, ils vont tout d’abord demander l’aide de Saint-Yves, saint patron de toutes les professions de justice et de droit ; il est celui qui fait justice aux pauvres et va à l’encontre des privilèges de la condition sociale. Toutefois cette tentative d’incantation ne peut se réaliser. Aussi ce sont des moyens radicaux, avec une complicité, ils vont se donner les moyens pour réduire à néant cette perspective de mariage que le couple va mettre en œuvre en se sentant porteur du message divin.

Dans son post-scriptum de près de quarante pages, l’auteur explique que ce livre, sorti pour la première fois en 1891, s’inspire d’un fait divers commis en 1882 à Hengoat (non loin de Pleumeur Bodou) qui a inspiré ce récit. En fait Charles Le Goffic, fils d’imprimeur, après avoir obtenu son agrégation, entreprit d’abord une carrière dans l’enseignement, qui l’amena successivement à Gap, Évreux, Nevers, puis au Havre.

Ce livre a été écrit avant la naissance de l’Action française dont Charles Le Goffic se rapprochera par l’intermédiaire de Barrès. Notre auteur est plutôt là, avant son tournant nationaliste, dans sa phase de républicanisme militant ; il est déjà un régionaliste convaincu, mais plutôt dans la perspective de faire la chasse aux maux dont souffre une partie du peuple breton à la fin du XIXe siècle : l’alcoolisme, les superstitions et la misère. Dans cet ouvrage c’est le personnage qui a su garder son âme bretonne tout en s’adaptant au monde moderne qui est valorisé et les chantres d’une tradition (d’ailleurs mal assimilée) qui sont portés au pinacle. Voilà un ouvrage magnifique pour tout ceux qui poussent ou passent en Bretagne et entendent retrouver l’identité armoricaine.