Munch
de Steffen Kverneland

critiqué par Blue Boy, le 27 mars 2015
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
La vie est un cri
Edvard Munch fut l’un des peintres les plus emblématiques de l’expressionnisme au début du XXème siècle. Auteur du célèbre « Cri », l’artiste norvégien était aussi passionné que tourmenté, ne se sentant vivant que dans la vie de bohême. Steffen Kvenerland lui rend hommage dans cette œuvre monumentale basée sur les témoignages de ses proches et de sa famille.

Avec cette couverture inspirée du « Cri » où l’on voit un Munch au regard halluciné se substituant au personnage à l’air maladif et horrifié de la peinture, on est déjà pas mal intrigué. Mais pour peu que l’on décide de feuilleter les pages, c’est un véritable choc sensoriel qui saisit jusqu’au tréfonds de l’âme, dans une zone où la folie se tient en embuscade. Edvard Munch lui-même et ses contemporains, August Strindberg en particulier, ont l’air de démons hystériques aux traits rendus acérés par le style cubiste auquel recourt Kverneland. Et à vrai dire, ce sont plusieurs styles qui alternent tout au long de ce pavé de 280 pages. Cubisme allié à des couleurs à la fois sombres et empourprées pour souligner le climat de folie imprégnant les beuveries du peintre avec son cercle d’artistes et d’intellectuels, expressionnisme dans des tonalités semblables pour évoquer l’atmosphère des toiles de Munch, réalisme aux teintes gris sépias pour les situations plus banales, dessin au trait voire insertion de photos pour les interludes où Kverneland se met en scène. Bref, je mets au défi quiconque de recenser la totalité des styles de cet OVNI traduisant la totale liberté de son auteur. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, ces caprices graphiques permanents ne sont pas si gênants mais en tant que parti pris apportent au contraire une respiration à cette œuvre assez dense.

De même, Steffen Kverneland n’a pas cherché à raconter l’histoire de Munch de façon linéaire. Comme il l’avoue lui-même, il l’a conçu comme un « puzzle monumental » d’après sa propre « vision subjective », totalement assumée. Fasciné par son célèbre compatriote, le norvégien dit avoir « lu des kilomètres de livres » sur lui.

Un passionné tourmenté portraituré par un fan doux dingue: seule une telle conjonction pouvait produire cette œuvre atypique et puissante, qui semble rougeoyer de ce feu intérieur qui rongeait l’artiste et confinait à la folie, encore davantage chez son ami Strindberg. Edvard Munch y est dépeint comme un noceur bohême mais ascète intransigeant lorsqu’il était question de peinture, entièrement détaché des contingences matérielles et dont la vie se confondait, à la façon d’un sacerdoce, avec son art, véhicule de ses émotions dans sa quête de vérité - à noter que « munch » en norvégien (prononcer « mounk ») signifie « moine ». L’homme était par ailleurs hanté par la mort et la maladie touchant sa famille, lui-même étant de faible constitution. Avec sa folie douce et son humour, Kverneland parvient à éviter l’écueil de l’hommage pompeux et pesant, nous livrant un superbe objet d’art graphique, varié et d’une grande richesse. On peut être déconcerté par l’apparent chaos narratif, mais après tout c’est bien ce qui caractérisait la vie de Munch. C’est donc une bonne chose que l’éditeur Nouveau Monde fournisse au public francophone l’occasion de découvrir ce fort bel album, reconnu comme un chef d’œuvre de la BD norvégienne